Recherche
Chroniques
Gioachino Rossini
Guillaume Tell
Le 17 mars 1804, à l’Hoftheater de Weimar, l’avant-dernier drame achevé de Friedrich von Schiller (1759-1805) voit le jour. Il met en scène un héros légendaire qui, au XIVe siècle, lutta pour l’indépendance de la Suisse face à l’empire des Habsbourg. Dans une Europe qui ne supporte plus la tyrannie, le succès posthume de l’Allemand est grandissant, ainsi que l’explique Jonathan White dans la brochure du DVD : « les pièces de Schiller, qui soulignaient toujours l’importance des sociétés pures (cette pureté était souvent représentée par des liens avec la nature) en passe de perdre leur identité à cause de la puissance militaire des forces d’occupation, vont même jusqu’à faire “de la nation même un personnage dramatique”, comme nous dit Mme de Staël à propos de Wilhelm Tell ».
Dans la capitale française aussi – à la veille de la révolution de Juillet 1830, qui mènerait à destituer Charles X (« il a fait couler le sang du peuple ») –, la scène lyrique est devenue un terrain idéal pour défendre idées nationalistes et faits patriotiques. Étienne de Jouy et Hippolyte Bis adaptent le drame helvète de Schiller pour Rossini (1792-1868), lequel vient de mettre en musique la lutte des Turcs et des Grecs dans Le siège de Corinthe (1826) [lire notre chronique du 16 août 2017]. Les quatre actes de Guillaume Tell sont créés le 3 août 1829, Salle Le Peletier. Plus proche de Verdi que de Donizetti, le dernier ouvrage du natif de Pesaro déstabilise le public qui découvre, en somme, le Grand Opéra dont Meyerbeer ferait les beaux jours, dès 1831 [lire nos chroniques de Robert le diable, Les Huguenots et Le prophète].
Près de deux siècles plus tard, le 5 juillet 2015, Opus Arte filme à la Royal Opera House une œuvre qui annonce aussi le romantisme. Bon directeur d’acteurs, Damiano Michieletto la met en scène en usant d’abord de symbolique [lire nos chroniques de La donna del lago, Il barbiere di Siviglia, La scala di seta, La bohème, Don Pasquale et Idomeneo]. L’arbrisseau déraciné à l’Acte I barre désormais la scène de son tronc gigantesque – décors de Paolo Fantin. Malgré l’absence de feuillage, les racines hors du sol, la croissance s’est poursuivie… Poussant à l’action les opprimés du XXe siècle – les costumes sont signés Carla Teti, mêlant années quarante aux plus récentes –, un figurant, Guillaume moyenâgeux, y côtoie le jeune Jimmy, nourrit de bandes dessinées et de jeux guerriers, et son père, bientôt menacé directement. L’oppresseur n’est jamais tendre : on abat le vieux Melcthal, après une intrusion terrifiante pour la collectivité, et l’on malmène les femmes. La presse anglaise dénonça un viol collectif « lascif et voyeuriste » qui marque moins par une discrète nudité que par l’épouvante de sa victime.
Cette production réunit un trio exceptionnel.
Gerald Finley possède l’ampleur, le charisme et une diction française impeccable pour incarner un rôle-titre mémorable. John Osborn (Arnold) allie facilité, vaillance et nuance. Malin Byström (Mathilde) se distingue par sa puissance et son onctuosité. D’autres chanteurs émérites les entourent, tels Enkelejda Shkosa (Hedwige) délicate si nécessaire, Sofia Fomina (Jemmy) au ferme soprano, Eric Halfvarson (Melcthal) sonore à souhait, Nicolas Courjal (Gesler), efficace mais un rien caricatural et cabot, Alexander Vinogradov (Furst) à la profondeur appréciable et Enea Scala (Ruodi), au spinto vivace. En fosse avec l’orchestre maison qu’il dirige depuis 2002, Antonio Pappano met en valeur une écriture dispendieuse, qui regorge notamment d’ensembles somptueux.
LB