Chroniques

par michel slama

Gioachino Rossini
La gazzetta | La gazette

1 DVD Dynamic (2016)
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Jan Schultsz joue La gazzetta (1816), opera buffa signé Rossini

La première période de la vie de Gioachino Rossini a été particulièrement prolifique, donnant naissance à de nombreux opéras seria et buffa. En 1810, La cambiale di matrimonio ouvre le bal des succès pour un compositeur à peine âgé de dix-huit ans [lire notre critique du DVD]. Le Napoléon de la musique, comme on l’appelait alors, aimait bousculer le train-train des scènes transalpines par des actions spectaculaires, des changements de rythme provocateurs, une ambiance endiablée, du jamais entendu. Il se définissait comme le compositeur d’un monde nouveau qui s’opposait à celui de l’ancien régime. Entre 1811 et 1816 suivra une quinzaine de créations lyriques de premier plan qui précèderont La gazzetta. Citons, entre autres, rien moins que La pietra del paragone, Tancredi, L'Italiana in Algeri, Il signor Bruschino, Il Turco in Italia, Elisabetta, regina d'Inghilterra, Otello et surtout Il barbiere di Siviglia qui, même s’il ne fut pas un succès à sa création, immortalisa notre Cygne de Pesaro [lire nos chroniques du 22 janvier 2007, du 5 décembre 2009, du 17 mai 2016, du 8 janvier 2016 et du 28 février 2010, ainsi que nos critiques DVD des productions de Stuttgart et du Rossini Opera Festival].

Après avoir conquis les théâtres du Nord, le musicien s’attaqua à ceux du Sud qui ne résistèrent pas plus que leurs collègues septentrionaux à son génie et à son audace. Il se devait de vaincre Naples, le haut-lieu de l’Opéra en Europe. Elisabetta fut son premier succès au Teatro San Carlo en 1815, suivi de la cantate Le nozze di Teti e Peleo pour le mariage de la fille du Roi. Pour asseoir sa réputation, il lui fallait produire un opéra bouffe, ce qu’il fit avec cette Gazzetta. L’œuvre fut donc composée pour le Teatro dei Fiorentini, le plus ancien des théâtres napolitains, désormais détruit par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi donc La gazzetta, ossia Il matrimonio per concorso (La gazette ou Le mariage par concours) compte-t-il parmi les moins fréquentés du compositeur, malgré le grand succès de la première ? C’est que l’œuvre n’a pas réussi à s’imposer dans le reste de la Péninsule et disparut rapidement pour ne connaître au XXe siècle que de rares résurrections partielles. Considérée comme musicalement faible, elle est un patchwork de thèmes rossiniens provenant, entre autres, du Turco et du Barbiere. Ainsi la musique du quintette du premier acte est-elle rigoureusement celle du sextuor de la fin de l’Acte I du Barbiere di Siviglia. Tout comme l’Ouverture de celui-ci était celle d’Aureliano in Palmira (réutilisée ensuite pour Elisabetta), celle de La Gazzetta sera recyclée pour celle de La Cenerentola, l’année suivante (1817).

La seconde vie de l’œuvre commence en 2012, au moment où fut retrouvé un quintette du premier acte qui permit enfin de proposer l’œuvre dans son intégralité. Depuis, La gazzetta donna lieu à des productions et des enregistrements audio et vidéo. Inspirée d’une pièce de Goldoni, l’action se situe dans une auberge à Paris, l’Aquila. Don Pomponio et son ami Anselmo s'y installent avec leur fille respective, Lisetta et Doralice. À la recherche du mari idéal, Pomponio finit par passer une annonce dans une gazette. Lisetta tombe alors amoureuse de l'aubergiste Filippo. De son côté, Doralice est courtisée par Traversen, mais préfère Alberto qui parcourt le monde à la recherche de l'épouse parfaite. Après de multiples quiproquos et rebondissements, Pomponio renonce à son annonce pour accepter le choix de Lisetta.

Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie, propose une production transposée de nos jours dont il signe la mise en scène. Il fait un choix délibéré de comédie burlesque à la Marx Brothers dans un décor unique (exceptés quelques rideaux dont celui du trio du duel du deuxième acte, figurant l’extérieur de l’Aquila). L’auberge devient un hôtel de style art déco, plutôt élégant, n’était un étage peuplé de péripatéticiennes en action. Alberto reboutonne son pantalon et fait un dernier câlin à sa partenaire tarifée… Le ton est donné : la farce se veut vulgaire, témoins les costumes bariolés, ridicules et provocateurs, les perruques outrancières aux coloris criards. On a rajeuni le livret avec l’omniprésence des téléphones et ordinateurs portables, du numérique et d’Internet. Une vidéo façon CNN est diffusée par un téléviseur 16/9. On n’échappe pas à des épisodes ubuesques, avec bataille de parapluies, scènes grivoises et branchées. Une fois accepté ce parti pris, le spectacle se laisse regarder sans déplaisir [lire notre chronique du 26 juin 2014].

Dommage que vocalement, la distribution réunie ne soit pas irréprochable, à l’exception du talentueux Edgardo Rocha (Alberto), jeune ténor uruguayen qui assure la relève belcantiste par une technique et un charisme de haut niveau – les Parisiens l’ont découvert dans l’Otello du Théâtre des Champs-Élysées, aux côtés de Cecilia Bartoli en 2014. Sans être indigne, le reste du plateau ne brille pas spécialement. Enrico Marabelli (Pomponio), Napolitain en goguette, est truculent et se sort bien de son air d’entrée qui rappelle furieusement celui de Don Profondo d’Il Viaggio a Reims. Laurent Kubla (Filippo) n’est pas très à l’aise avec la tessiture de l’aubergiste. La Lisetta de Cinzia Forte, pour sympathique qu’elle soit, ne possède pas une voix inoubliable. Ses vocalises sont difficiles et le timbre quelconque. Julie Bailly (Doralice) s’en sort mieux, tout comme l’excentrique Monica Minarelli (Madama La Rose).

Sous la direction de Jan Schultsz, l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie accompagnent avec brio cette Gazzetta déconcertante qui irritera les uns autant qu’elle réjouira les autres…

MS