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Chroniques
Gioachino Rossini
Maometto Secondo | Mahomet II
Présenté pour la première fois à Naples en 1820, Maometto Secondo se voulait une œuvre ambitieuse et novatrice, loin des compromis respectant le classicisme et l'académisme qui était de mise à l'époque. Rossini, excellent stratège et maîtrisant le marketing avant l'heure, sut transformer le demi-échec napolitain en un chef d'œuvre : Le Siège de Corinthe, version nouvelle créée en français à Paris en 1826, amplifiée et remodelée en profondeur. Entre temps, le compositeur de Pesaro avait déjà restructuré son Maometto en lui ajoutant une symphonie d'ouverture traditionnelle, en redécoupant un certain nombre de scènes jugées trop amples et monolithiques, et surtout en apportant une fin heureuse, en lieu et place du suicide final de l'héroïne. C'est la version révisée pour le Carnaval de Venise de 1822 et reconstituée par Claudio Scimone que Sergio Segalini a logiquement choisie pour la Fenice en 2004, dans le cadre de la réouverture de la mythique salle.
L'action est à peu près identique pour Maometto et le Siège de Corinthe. Rossini situe le premier à Negroponte en 1470 et le second à Corinthe en 1458. A l'exclusion du Sultan Maometto, il a changé le nom des personnages. L'intrigue, assez mince, repose sur le choix cornélien de l'héroïne (Anna) entre son amour pour Maometto, le chef des Turcs qui envahissent son pays, et son fidèle devoir patriotique. Au premier acte, le gouverneur de Negroponte, Paolo Erisso hésite à résister aux troupes qui font le siège de la ville, parce qu'il sait la situation perdue. Calbo, impétueux général de la ville, le convainc cependant de poursuivre la guerre. Paolo lui propose d'épouser sa fille Anna qui est éprise d'Uberto, un seigneur étranger qui est, en fait, Maometto II ! Après l'assaut final et la capture de Paolo et Calbo, celle-ci vient implorer leur grâce auprès du Sultan qu'elle reconnaît et qui leur accorde la vie sauve. Au second acte, Maometto veut épouser Anna qui refuse. Il décide de combattre le dernier bastion et remet en gage d'amour à Anna le sceau impérial qu'elle utilise pour libérer son père et Calbo. La bataille finale devra départager les deux prétendants Calbo et Maometto. Elle voit la déroute du Sultan. Calbo peut donc épouser Anna, ce qui constitue le happy end de la version vénitienne.
Depuis la résurrection effectuée par Claudio Scimone en 1985, à Pesaro, Maometto Secondo n'a pas eu les faveurs des théâtres. Il nous reste cependant deux enregistrements, celui de référence que nous a laissé Scimone avec Samuel Ramey, June Anderson, Margarita Zimmermann, et celui de Gabriele Ferro, avec le même Ramey, Cecilia Gasdia et Gloria Scalchi. C'est donc avec un grand intérêt que nous accueillons ce nouveau DVD, à ce jour seul témoignage visuel de cet opéra mal aimé. Globalement, le résultat est plutôt convaincant. La mise en scène, les décors et les costumes de Pier Luigi Pizzi qui nous proposent une conception ultra traditionnelle avec, comme toujours, une lumière et des scènes de foule et de combat très étudiées.
Le rouge sied bien à Lorenzo Regazzo qui sait tirer son épingle du jeu. Ce baryton-basse, nouvelle coqueluche du monde lyrique, sans faire oublier Ramey, sait nous captiver par une présence et une solide voix qui a sauvé du naufrage absolue la récente production de Nozze di Figaro à Garnier où il tenait le rôle-titre. Les autres protagonistes sont plus qu'honnêtes. Les femmes ont du mal à faire oublier leurs illustres devancières – de Renata Tebaldi à Cecilia Gasdia pour Anna, de Myriam Pirazzini à Lucia Valentini-Terrani pour Calbo. Ainsi Carmen Giannattasio est un peu pâle en Anna et sa prière de l’Acte I, pas toujours juste, nous laisse un peu de marbre. Quant à Anna Rita Gemmabella, décrédibilisée par un physique difficile, elle ne nous laisse pas imaginer un instant qu'elle puisse camper le fier général d'armée Calbo. Dommage, car elle possède une belle voix grave et semble rompue aux vocalises belcantistes. L'excellent Paolo du Russe Maxim Mironov a toutes les qualités vocales du rôle et sait y ajouter des qualités de noblesse et d'émotion. Quelle drôle d'idée, en revanche, d'avoir distribué à un contraltiste le rôle éphémère de Condulmiero, alors qu'on y attend plutôt un baryton à l'aigu facile !
Claudio Scimonedirige de façon idéale une partition qu'il adore et qu'il a retravaillée à maintes reprises. L'Orchestre et les Chœurs de La Fenice sont dignes de leur réputation. Enregistrée en haute définition, avec un son superlatif et malgré quelques réserves, l'œuvre mérite vraiment d'être découverte.
MS