Chroniques

par laurent bergnach

Giovanni Battista Pergolesi
Il prigonier’ superbo – La serva padrona

2 DVD Arthaus Musik (2012)
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Giovanni Battista Pergolesi | Il prigonier’ superbo – La serva padrona

Quelques mois après avoir écrit de la musique religieuse – un dramma sacro consacré à Guillaume d’Aquitaine et un oratorio à Saint Joseph – et la commedia per musica Lo frate ‘nnamorato [lire notre critique du DVD], Pergolesi poursuit son exploration du dramma per musica à l’automne 1732, laquelle fut entamée avec La Salustia [lire notre critique du DVD]. Palermo et Francesco Ricciardi, en charge des productions au Teatro di San Bartolomeo (Naples), conseillent au librettiste Gennar’Antonio Federico de reprendre un canevas connu, afin de s’assurer un beau succès. Le choix se porte sur La fede tradita e vendicata (La confiance trahie et vengée), un livret de Francesco Silvani qui servit une première fois à Francesco Gasparini (1704) – célèbre comme directeur du Pio Ospedale della Pietà où était employé Antonio Vivaldi, et pour sa soixantaine d’ouvrages lyriques – avant de connaître de nombreuses adaptations, dont Ernelinda (1726) signée Palma et Vinci, à Naples même.

Afin de renforcer son pouvoir, le roi des Goths Metalce fait emprisonner Sostrate, souverain de Norvège. Par tous les moyens, le tyran tente d’obtenir l’amour de la fille du vaincu, Rosmene, laquelle repousse ses avances et celles du prince de Danemark Viridate qu’elle aimait jusqu’à ce qu’il trahisse son camp. Comme la princesse s’obstine dans son refus, Sostrate décide de conduire à la mort le père et l’amant de Rosmene, puis seulement l’un d’entre eux que devra choisir la jeune femme. Désigné, Viridate retourne la situation à son avantage en faisant choir le tyran, et il épouse sa belle. Bien entendu Ericlea, héritière légitime du trône de Norvège, et son amant Micisda, prince de Bohème, jouent leur rôle politique tout au long des trois actes de l’ouvrage.

Reporté pour cause de tremblement de terre en novembre 1732, finalement créé le 5 septembre 1733, Il prigionier’ superbo (Le prisonnier orgueilleux) retrouve la lumière au Teatro Pergolesi de Jesi, plusieurs fois depuis 2009. Malheureusement, la mise en scène d’Henning Brockhaus convoque marionnettes hideuses, projections décoratives et une occupation de l’espace dénuée de sens, ce qui met la patience à rude épreuve et brouille en partie la compréhension de l’action dramatique. Disons déjà que l’on touchera le fond dans la seconde partie de soirée qui ne traite pas son sujet, avec une Serva padrona sans esprit mais non sans lourdeur, transposée dans l’univers du cirque. Les clowns, on le sait, favorisent moins les rires que les cauchemars…

Unique artiste masculin de la distribution, Antonio Lozano (Sostrate) se montre incisif, ferme et brillant (Salda quercia allor che incalza), mais aussi fort nuancé (Vado a morte, a te la figlia). Marina de Liso (Metalce) est tout autant expressive, occupant l’espace avec force et souplesse (Trucidati a queste piante). Ruth Rosique (Ericlea) séduit par des ornementations efficaces et claires, et Giacinta Nicotra (Micisda) grâce à des qualités nombreuses telles charisme, couleur et stabilité impressionnante. En revanche, Marina Rodríguez Cusí (Rosmene) et Marina Comparato (Viridate) déçoivent, la première par les instabilités d’une voix terne, la seconde par les tremblements aigrelets d’un chant néanmoins agile.

Déclencheur de la très française Querelle des Bouffons (1752-54), La serva padrona fut l’intermezzo glorieux de l’ouvrage précité, dont le livret de Federico, par-delà les décennies, inspirerait d’autres musiciens – tel Paisiello, en 1781 [lire notre critique du CD]. Carlo Lepore et Alessandra Marianelli reprennent ici les rôles créés par Gioacchino Corrado, déjà défenseur de Nerina e Nibbio qui accompagnait La Salustia, et Laura Monti. Si la basse offre une grande présence et un impact impressionnant, le soprano s’avère en revanche terne, sans corps et peu expressif. En fosse, défendant une musique vivace et tendre, l’Accademia Barocca de I Virtuosi Italiani ne manque pas de relief ni de fiabilité sous la direction de Corrado Rovaris.

LB