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Chroniques
Giovanni Bononcini
La nemica d'amore fatta amante
Fils aîné d'un violoniste, compositeur et théoricien réputé – qui contribua notablement au développement de l'écriture instrumentale au XVIIe siècle –, Giovanni Bononcini est né en 1670 et mort en 1747, puis peu à peu tombé dans l'oubli. Son talent de violoncelliste et de compositeur s'avère précoce, mais la mort de ses parents à un an d'intervalle, quand il n'a pas dix ans, le plonge « encore enfant dans les bras de la pauvreté ». Les mécènes de son père lui permettent cependant de poursuivre des études musicales, d'abord dans sa ville natale Modène, puis à Bologne. Successivement, il entre à l'Accademia Filarmonica, intègre la vie artistique de la Chapelle de San Petronio, devient maître de chapelle à San Giovanni in Monte. Après Milan, le jeune homme s'installe à Rome en 1692. Là, sa rencontre avec le librettiste Silvio Stampuglia donnera naissance à cinq opéras, un oratorio et six sérénades. La nemica d'amore fatta amante est l’une de ces dernières.
Avec Scarlatti, Bononcini est le plus prolixe des compositeurs italiens de cantates au XVIIIe. Elles prennent parfois la forme de grande cantate ou de petit opéra et se nomment serenata parce que jouées le soir. La nemica d'amore... a été créée en plein air, au Palazzo Colonna (nom de la famille de ses protecteurs romains), le 10 octobre 1693. Le compositeur, âgé alors de vingt-trois ans, remporte avec cette sérénade à trois (soprano, contreténor, baryton) un grand succès populaire. L'inventivité mélodique y est plutôt heureuse, foisonnante, et semble annoncer l'art encore à venir de Georg Friedrich Händel. Nous savons que le Saxon s'inspira de la musique romaine entendue lors du séjour qu'il fit, encore jeune homme, en Italie, qui devait déterminer sa carrière ; y aurait-t-il entendu La Nemica d'amore... ? S'en serait-il inspiré, consciemment ou non, pour sa sérénade Acis, Galatea e Polifemo, identiquement pastorale, de 1718 ?...
L'ennemie de l'amour rendue amoureuse, c'est la nymphe Clori qui raille depuis longtemps l'affection que lui porte le berger Tirsi. Elle devra le persuader que ces tourments tout nouveaux pour elle (Oh Dieux, j'ai perdu la liberté), ne sont pas une nouvelle moquerie. Le couple abandonne alors la douleur pour la joie. Adriana Fernandez propose une nymphette plus qu'une nymphe, assez mièvre, et si son timbre est prometteur, les promesses sont toujours pour demain. Le berger est le contreténor Martin Oro plus satisfaisant, bien que lui aussi peu affirmé. Cela dit, si ces deux voix ne sont pas encore vraiment lyriques, elles ont l'avantage d'une fraîcheur qui s’accorde avec l'œuvre présentée.
Le satyre Fileno assiste à la scène. Secrètement, lui aussi aime la nymphe, et va donc lui reprocher d'avoir cédé à l'amour. Elle, si heureuse à présent, lui reproche d'avoir été l'initiateur de ce mépris, un an plus tôt, lorsqu'il était jaloux de Tirsi. Clori le chasse et Fileno promet de se venger. La nymphe retrouve son berger et la sérénade s'achève sur des promesses de fidélité et le conseil, à « tout cœur le plus dur et le plus glacé » de ne plus tourner ce sentiment en dérision car « l'Amour, pour le Monde, est Nourriture et vie ». Furio Zanasi (dont nous vous avons récemment parlé : David de Conti à Ambronay, Farnace de Vivaldi à Bordeaux) sert merveilleusement son rôle d'un chant expressif, délicatement phrasé, d'une grande classe, avec une présence évidente.
C'est l'Ensemble 415, dirigé par Chiara Bianchini, qui soutient le trio vocal. On regrettera une précision moins aiguisée ici que dans le fort beau disque Valentini paru chez le même label [lire notre critique du CD].
HK