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Chroniques
Giovanni Paisiello
Nina, o sia La pazza per amore | Nina ou La folle par amour
Nina ou la Folle par amour est à l'origine un opéra français en un acte de Nicolas Dalayrac, créé à Paris en 1786. En cette fin de XVIIIe siècle éclairé par les recherches des Lumières, la folie n'est plus seulement le ressort comique qu'il a été jusqu'alors mais un élément du tragique. En découvrant qu'une jeune fille a perdu la raison suite à un événement traumatique, pour peu qu'on soit sujet à l'empathie, on quitte le rang des rieurs pour aller chercher un mouchoir...
C'est dans sa ville bien-aimée de Naples que Giovanni Paisiello (1740-1816) présente, en 1789, sa version à partir du texte original traduit. Avec cette œuvre hybride entre buffa et seria – une des premières incursions du théâtre bourgeois sur la scène lyrique –, qui comporte quelques passages parlés, il connaît le plus grand succès de sa carrière. L'histoire est simple, prévisible d'un bout à l'autre dès que disparaissent les sources du malaise (un père méchant, un amant mort) ; le compositeur s'attache à la peinture d'une âme plutôt qu'à nous distraire à coups de rebondissements.
Susanna, la gouvernante de Nina, raconte l'histoire malheureuse de sa maîtresse : elle est devenue folle suite à la rupture de ses fiançailles par un père d'abord consentant, puis à la mort de son amoureux Lindoro, au cours du duel l'opposant au nouveau prétendant, que le père a préféré soudain, en raison d’un rang social supérieur. Grâce à son chant, à son talent de conteuse, Juliette Galstian nous mène tout de suite au cœur de l'action. Arrive alors le père repentant et inconsolable. László Polgár prête son beau timbre à une plainte émouvante qui évite toute confusion avec le barbon de comédie. Entre ensuite un jeune berger, venu chanter pour apaiser et consoler l'héroïne. C’est en fait Lindoro – Jonas Kaufmann – qui n'est sortit que blessé du duel et s'est déguisé pour approcher son aimée. Le timbre est beau, mais malheureusement engorgé parfois, détimbré lorsqu'il s'agit de nuancer, parfois klaxonné (Questo è dunque il loco usato, son seul air solo). La vaillance va mieux à ce chanteur qu'on finit par juger maniéré et avec un manque de personnalité de ténor standard. Autre personnage masculin moyen, Giorgio – Angelo Veccia – qu'un chant disgracieux et fatigué rend parfois faux et nasillard. Dans la mesure où son personnage est celui d'un bouffon, cela passe.
La grande déception de cette production vient finalement de Cécilia Bartoli, qui incarne Nina. Si son chant en général est à la hauteur de l'œuvre (de belles vocalises, même si certains pianissimi tenus ne sont pas très justes), son jeu est en revanche une catastrophe. Son apparition, très attendue, prend la forme d'un festival de grimaces que la proximité de la caméra ne nous permet pas d'éviter. La chanteuse surjoue les airs et parle faux quand elle joue. Son jeu se veut moderne mais aussi mêlé de Commedia dell'Arte dont elle nous sert les tics, sans en atteindre la profondeur. Elle gesticule d'une figure à l'autre, de la gamine grassouillette et capricieuse à la furie vengeresse – toutefois, c'est dans la colère qu'elle nous épargne ses caricatures de demeurée. Sans doute faut-il mettre aussi en cause la mise en scène de Cesare Lievi : la scène d'épilepsie de la fin du premier acte est inutile, ridicule et peu crédible ; quant à la fin du second, c'est à peine si on sent l'héroïne libérée de son état second, d'autant qu'elle s'évanouit au tomber du rideau... Enfin, le pire est de se demander si elle ne simule pas afin de se venger d’un père détestable. Ce doute que le directeur d'acteur n'a pas pensé à écarter, ajouté au tournis d'une démence désordonnée, laisse peu de place à l'attachement, si bien que l’on se déconcentre en cours de chemin. Dommage, car l’on avait été récompensé, tout d’abord, de sa curiosité à se pencher sur cette rareté du répertoire. Restera le souvenir d'une femme et d'un homme, mais pas du couple qu'on nous offrait en vedette.
Dernier personnage de l'opéra, le chœur, s'il est un peu approximatif parfois, se montre nuancé. Son jeu appuyé du début deviendra plus discret sans perdre en efficacité. Il chante avec les protagonistes la morale finale qui rappelle aussi l'importance du patriarche dans cette histoire : « amants affligés, ne désespérez pas / l'amour est l'enfant de la compassion ».
C'est Ádám Fischer qui dirige l'Orchestre de l'Opernhaus de Zürich. Avec beaucoup d'élégance et d'esprit, il nous entraîne dans cette musique qui résonne des accents de Mozart, Cimarosa ou Mayr. C'est enlevé, précis, contrasté. L'orchestre est au diapason du chef, notamment les vents dont nous retrouvons un détachement sur scène (Michael Reid à la cornemuse et Bernhard Heinrichs au hautbois), comme seul accompagnement de la voix. Les passages de dénuement musical sont d’ailleurs parmi les plus beaux et les plus émouvants de l'œuvre.
LB