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Chroniques
Giovanni Paisiello
Proserpine
Pour justifier sa nomination par Napoléon au poste de Maître de Chapelle aux Tuileries, le Napolitain Giovanni Paisiello doit honorer une généreuse commande du Premier Consul, et composer un opéra pouvant s'inscrire dans la grande tradition mélodramatique française. Il choisit d'utiliser le livret de Quinault – que Nicolas-François Guillard aura préalablement dépoussiéré en resserrant les cinq actes initiaux en trois – dont s'était servi Lully pour sa Proserpine cent vingt ans plus tôt. L'argument évoque le rapt de Proserpine par Pluton et la naissance du cycle des saisons après le décret réparateur de Jupiter. Créée au Théâtre de l'Opéra le 28 mars 1803, l'œuvre est victime d'une campagne de diffamation : elle n'atteint que douze représentations et n'entre pas au répertoire, malgré la satisfaction publique de son commanditaire. Il faudra attendre juillet 2003 pour une restitution par le Festival della Valle d'Itria di Martina Franca dont Dynamic diffuse aujourd'hui la captation live du Palais Ducal.
À la tête de l'Orchestra Internazionale d'Italia, Giuliano Carella impose dès l'ouverture une lecture d'une grande élégance, propre à révéler les qualités de l'écriture soignée de Paisiello. Sa conduite est plutôt vive et sans contrastes superflus, ce qui respecte assez justement un certain idéal classique, souligné par un traitement des cordes mozartien et un final à roulements de timbales déjà beethoveniens. Tout au long de l'exécution, on goûtera l'excellence de la direction d'un chef entendu dans Rossini qui n'est pas sourd à Haydn, développe un grand art de la nuance, met en valeur le moindre solo avec minutie, tout cela dans avec un vrai sens théâtral, suivant pas à pas partition comme livret.
Sur scène, Sara Allegretta est le rôle-titre : timbre chaleureux, voix puissante, magnifiquement vaillante quoi que pas toujours très nuancée (voir « Le ciel la rend à nos désir » à la fin du premier acte), avec les défauts de ses qualités, à savoir des aigus évidents mais difficiles à animer et un vibrato offrant une jouissive plénitude mais une instabilité vertigineuse. On notera également un chant quelque peu individualiste, flagrant dans son amorce de l'air « Belles fleurs, charmant ombrage » (scène 4 du premier acte), abordé trop lourdement par rapport au dosage équilibré et très précis du chef. Son travail sera plus satisfaisant à l'acte suivant où elle parvient à réaliser des ornements plus légers, et de fait bien plus fiables (« Quel nouvel espoir vient me luire ! »).
Maria Laura Martorana est une Cérès exemplaire et passionnante : voix de velours, diction d'une intelligibilité exceptionnelle, grande égalité d'émission vocale, et indéniable intelligence dramatique et musicale (ainsi sait-elle user des effets de chaos rythmique de l'accompagnement de l'air « Ce même jour va me rendre à vos larmes », par exemple, ou encore tirer les larmes avec « Quelle injustice cruelle », d'une expressivité saisissante, au début de l'Acte II). Sa couleur permet de souligner d'autant plus l'écriture mozartienne du rôle, comme elle apparaît avec évidence dans « Je sens que je quitte avec peine » (plage 10 du premier CD), ici vocalisé avec une magnifique souplesse. Dans la scène 4 du troisième acte, la soprano révèle une homogénéité du timbre sur toute l'étendue de la tessiture, une splendide maîtrise des ornements et des vocalises, dans une succession recitativo – aria qui n'est pas sans rappeler les canons de la cantate romaine.
On retrouve dans cet enregistrement le ténor Simon Edwards qui offre un timbre d'une belle clarté, un chant précis et une présence évidente au personnage d'Ascalaphe, tandis que le baryton Piero Guarnera paraît distribué en dépit du bon sens. En effet, il semble que le rôle ne lui convienne pas du tout, que la voix soit trop lourde et n'offre aucune des qualités de mobilité requises pour Pluton. Du coup, c'est instable, parfois même tremblant, sans intermédiaire entre des dolcissimi éthérés et une suraccentuation qui passera pour fanfaronnante des forte. Enfin, les brèves apparitions de Giovanna Donadini en Cyané bénéficient d'aigus fulgurants et d'un timbre d'un moelleux délicieux. On remarquera dans cet ouvrage l'importance du chœur, écrit avec bonheur – témoin des nombreuses partitions d'église composées par Paisiello dans sa jeunesse – et ici somptueusement nuancé (malgré quelques soucis de justesse des ténors).
L'on découvrira avec un intérêt certain la Proserpine de Paisiello, qui valut à son auteur le soutien des Bonaparte à Paris, à Rome, à Naples, mais également le désaveu des Bourbons après l'Empire. Cette expérience ambiguë est du reste celle de toute la carrière du musicien, favori et banni ici et là, de la Cour Pétersbourgeoise comme de celle de Vienne, entre autres, selon les caprices du pouvoir et de la politique européenne.
BB