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Chroniques
Giovanni Simone Mayr
La Lodoiska
Il y a quelques années déjà – c’était aux premiers pas d’Anaclase, souvenez-vous –, nous évoquions le compositeur italien d’origine bavaroise Giovanni Simone Mayr, à propos de son opéra Ginevra di Scozia [lire notre critique du CD]. C’est aujourd’hui son deuxième ouvrage (le premier fut Saffo, en 1794), Lodoiska, que le label Oehms Classics permet de redécouvrir, dans le même temps où sa Medea de 1813 est remontée par la Bayerische Staatsoper [lire notre critique du DVD]. De fait, c’est encore une direction bavaroise qui nous vaut cette édition d’importance, s’agissant de la radio de Munich.
C’est d’abord Luigi Cherubini qui adapte Les amours du Chevalier de Faublas de Jean-Baptiste Louvet de Couvray pour la scène lyrique ; sa Lodoïska est donnée à Paris en juillet 1791. Elle sera suivie par Lodoïska ou les Tartares de Rodolphe Kreutzer (1792), puis encore d’une adaptation anglaise (Stephen Storace, 1794), avant que La Fenice (Venise) crée la version de Mayr, le 26 janvier 1796.
D’étudiant-compositeur allemand débarqué d’Ingolstadt dans la Péninsule pour y parfaire son art, Johannes Mayr devient rapidement Giovanni Mayr, et si son patronyme demeure d’assonance germaine, c’est d’un compositeur italien qu’il faudra plus certainement parler. De fait, après une belle carrière irradiant de Trieste ou de Venise vers l’Europe (plus de cinquante opéras), c’est en bergamasque qu’octogénaire il s’éteindrait.
Histoire d’amour et d’amitié – les aléas de la guerre mène un seigneur (Boleslao) à maintenir captive la princesse qu’il convoite (Lodoiska) ; le voilà en conflit amoureux avec un prince polonais (Lovinski) qu’il lui faut également emprisonner ; lorsqu’insupportable le dépit le conduit au crime, c’est finalement un conquérant Tartare (Giskano) qui délivre les amants, redevable qu’il était de sa propre vie à Lovinski –, Lodoiska campe quelques caractères bien trempés traduits par une écriture vocale tranchée qui annonce le génie mélodique de Bellini et une certaine verve vocalique dont Rossini ferait son beurre – et même sa chantilly ! – quelques années plus tard. Le classicisme y est encore bien présent, dans l’inflexion de la phrase chantée (Paisiello, Cimarosa) comme dans la facture orchestrale (Mozart, assez évidemment) qui regarde du côté de Weber.
La distribution ici réunie brille surtout dans les grands rôles. Ainsi Ines Reinhardt satisfait peu en Narseno claironné, tandis que Nam Won Huh livre un Radoski irréprochable mais plutôt scolaire. Marc Megele offre un ténor fiable à Sigeski.
Le reste du plateau est plus que probant et honore largement l’ouvrage.
On goûte la fermeté du Tartare Giskano, baryton musclé possédant un aigu flatteur : Marko Cilic donne des récitatifs au cordeau et un chant idéalement mené. La confidente Resiska bénéficie des nuances raffinées du soprano slovène Elvira Hasanagić, usant d’un grave troublant et d’une onctuosité séduisante. Rôle travesti, l’amoureux Lovinski est magnifiquement servi par la chaleur de timbre du mezzo-soprano Elena Belfiore. Héroïque, l’inflexion se fait tendre, l’intention souvent touchante. Quant à celle qui donne son nom à l’opéra, elle est d’emblée avantagée par l’immédiate expressivité d’Anna Maria Panzarella. Si l’incarnation est d’abord retenue, elle déploie vite un phrasé gracieux. La ligne est exquise, indéniable l’engagement dramatique, la précision remarquable. Mettant au service du personnage une technique exemplaire, l’artiste se joue admirablement d’une tessiture que le compositeur a choisie redoutable (graves présents et registre haut qu’il faut illuminer).
Enfin, c’est le méchant qui s’avère LA voix de ce dramma per musica en deux actes. Le ténor britannique Jeremy Ovenden arbore une émission souple, une projection royale, efficace dans le charme comme dans la fureur. La couleur est à la fois piquante et clarteuse, la vaillance du chant s’impose, la nuance toujours intelligente ; bref : ce Boleslao est simplement idéal !
Au pupitre du Münchner Rundfunkorchester dont il faut saluer l’excellence des bois et le moelleux des cordes, George Petrou signe une interprétation à la ciselure estimable qui, tout en soulignant adroitement la dramaturgie, jamais ne force le trait. Une réussite !
AB