Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Scarlatti
Dove è amore è gelosia | Où est amour est jalousie

1 DVD Opus Arte (2013)
OA 1104 D
Vojtěch Spurný joue Dove è amore è gelosia (1768) de Giuseppe Scarlatti

Dans la famille Scarlatti, on connaît Alessandro (1660-1725) et Domenico, le sixième de ses dix enfants (1685-1757). Mais qui est donc Giuseppe ? Né à Naples en 1718 ou 1723, le musicien serait probablement un petit-fils du premier et neveu du second. Il meurt à Vienne en 1777, ville où il passa près d’une vingtaine d’année, après avoir œuvré dans différentes régions d’Italie, et qui apprécia longtemps le dramma giocosoLa grotta di Trofonio (1785, Salieri), Il matrimonio segreto (1792, Cimarosa), etc. Puisant surtout chez Goldoni, le compositeur en livre une dizaine tout au long de sa carrière, parmi lesquels les vénitiens De gustibus non est disputandum (1754), L'isola disabitata (1757) et La serva scaltra (1759).

Protégé de Josef Adam von Schwarzenberg, duc de Krumlov (Bohême), Giuseppe Scarlatti éduque nombre des neuf enfants du prince et satisfait sa passion pour le théâtre en général, l’opera buffa en particulier – « les comédies françaises ne sont pas à la hauteur »... Dans la petite ville médiévale de Český Krumlov (Krumau, en allemand – immortalisée par Egon Schiele), les jardins du château et son théâtre s’animent de spectacles avant tout familiaux. C’est dans ce dernier que se donne l’ouvrage, le 24 juillet 1768, lors des festivités saluant le mariage du fils ainé du châtelain, Jan Nepomuk, à l’instar de Der betrogene Kadi (Le Cadi dupé) de Gluck, donné la veille.

Bientôt rebaptisée L’amor geloso, l’œuvre au livret signé Marco Coltellini – auteur, éditeur et aussi chanteur, puisqu’on lui doit la création du confident Patrizio – met en scène quatre personnages durant deux actes. Savourant au clavecin sa liberté retrouvée, la marquise Clarice n’est pas prête à retrouver le joug d’un époux jaloux, défaut majeur du comte Orazio, prétendant de la jeune veuve. Femme de chambre de l’une et domestique de l’autre, Clarice et Patrizio déploient toute leur ingéniosité non seulement pour conseiller et aider leurs maîtres mais aussi pour tester, en parallèle, leur propre relation.

Moitié d’une lettre d’amour saisie de travers, mannequin servant de leurre, travestis des deux sexes font de ce spectacle un chef-d’œuvre d’humour qui piège les jaloux, auquel Ondřej Havelka ajoute des gags simples comme celui de la tasse au thé renversé ou l’ascension tardive d’un meuble par les dessous. En fosse, Vojtěch Spurný guide le Schwarzenberg Court Orchestra avec un allant délicieux, tandis que la scène s’anime grâce à Lenka Máčiková (Clarice), voix ferme et belle présence, Kateřina Kněžíková (Vespetta) [lire notre chronique du 25 mai 2012], Jaroslav Březina (Patrizio) et Aleš Briscein (Orazio) dont la lumière et l’aisance sont bien connues des Parisiens [lire nos chroniques du 19 octobre 2008, du 27 avril 2007 et du 2 décembre 2006].

Filmé en septembre 2011, cet opéra met aussi en vedette le théâtre du château qui appartint à la Maison Schwarzenberg de 1719 à 1945. Non content de nous réjouir par de stupéfiants changements à vue des décors, la caméra se glisse en coulisses pour montrer les rouages de la machinerie d’origine, dûment restaurée et toujours en service. Enchanté par la magie du lieu, on apprécie d’en découvrir l’histoire grâce au documentaire qui accompagne cette production récompensée en 2012 par la Fondation Havel.

LB