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Chroniques
Giuseppe Verdi
Il corsaro | Le corsaire
Treizième opéra de Giuseppe Verdi, Il Corsaro nous est aujourd'hui proposé en DVD par Dynamic qui l'a capté au Théâtre Regio de Parme en juin 2004, bénéficiant d'une lumière et d'une restitution sonore optimales. Compte tenu de la rareté de l'œuvre à la scène, cette parution constitue un réel événement. Saluons ici le courage de cette firme qui semble se spécialiser dans les productions d'opéras peu connus. Depuis l'enregistrement des Verdi de jeunesse paru chez Philips dans les années quatre-vingt, avec une distribution de rêve (José Carreras, Jessye Norman, Montserrat Caballe), il n'y a pas eu en vidéo ou en disque, à ma connaissance, de reprise de cet opéra atypique du grand compositeur de Busseto. Conçu fin 1845 pour Londres, mais finalement retardé par une maladie importante, Il Corsaro n'eut pas beaucoup de chance. Peu convaincu par le livret, le compositeur laissa de côté son opéra pour composer Attila, Macbeth, I Masnadieri et Jerusalem, avant de reprendre son ouvrage mal-aimé. Verdi ne se dérangea pas pour la création en 1848, à Trieste, avec le gratin des chanteurs de l'époque qui reçut un accueil très mitigé du public.
Contraint d'honorer la commande que lui avait faite Lucca, l'éditeur concurrent de Ricordi, peut-on dire pour autant que Verdi ait quelque peu bâclé l'œuvre ? « Cette musique que j'ai écrite sans y attacher d'importance, pour me débarrasser d'un éditeur odieux, manque probablement d'inspiration », écrit-il avant la première. Cet opéra faisait partie d'une commande pour le Théâtre Royal Anglais sur un thème de Lord Byron, très en vogue à l'époque, comme en témoigne l'influence que le poète eut sur Liszt et Berlioz (qui composa, lui aussi, une ouverture sur le même sujet). Il est vrai que le travail de Piave, librettiste favori du musicien, ne rendait pas justice à l'œuvre et que Corrado, le héros de Byron censé représenter Garibaldi luttant contre les Autrichiens, apparaît bien falot. L'intrigue est mince et fait penser à un Enlèvement au sérail mâtiné du futur Trouvère : un pirate quitte son île et sa maîtresse Medora pour aller attaquer le Pacha Seid qui le fait prisonnier. Gulnara, la favorite du pacha, tombe amoureuse de ce Corrado et l'aide à s'évader. Lui n'a d'yeux que pour Medora qui s'est empoisonnée de désespoir, pensant qu'il était mort. Il disparaît dans les flots, laissant Gulnara seule.
Il n'empêche que la partition destinée à un ténor, une basse et deux soprani regorge de beautés, à commencer par le splendide air de Medora au Premier acte, Egli non riede ancora – immortalisé par Maria Callas dans l'un de ses récitals verdiens chez EMI –, les deux airs de Gulnara qui, curieusement, relèguent Medora à un second rôle, et surtout le duo de la prison et le trio final, passages préférés de Verdi lui-même. La production de Parme, ultra traditionnelle, est plaisante à regarder. Le metteur en scène Lamberto Puggelli a donc souhaité livrer une vision spectaculaire à une audience forcément novice. Les décors et les costumes sont superbes et les combats parfaitement réglés. Seule la fin où, faute de se jeter dans les flots, Corrado grimpe aux mâts de son bateau et disparaît derrière le rideau de scène, s'éloigne un peu du livret. L'orchestre et les chœurs, dirigés par Renato Palumbo, sont excellents et suivent parfaitement l'action.
Les chanteurs, presque tous inconnus à part le vétéran Renato Bruson, sont corrects et plutôt crédibles dans leur composition des personnages. Zvetan Mikhaïlov (Corrado) a fort belle allure, mais n'arrive pas à habiter vraiment son personnage. Sa belle voix barytonante ne saurait convenir ici. Il serait certainement plus à l'aise en Herman, dans La Dame de pique, que dans ce répertoire. Par ailleurs, il regarde trop la caméra et semble en oublier le drame. Le cas de Bruson est bien différent : arrivé à un certain âge, les chanteurs ne peuvent pas être en forme tous les soirs ; cette représentation n'apportera rien à la gloire de la grande basse italienne septuagénaire. Ses interventions sont à la limite du supportable, tant le vibrato s'est emparé de son organe, malgré un jeu et une présence formidables. Michela Sburlati (Medora) est honnête et émouvante. Le ramage de la belle et sensuelle Gulnara d'Adrian Damato étant loin d'égaler son plumage, le pauvre Corrado n'aura de cesse de fuir la belle esclave. Il conviendra donc d'écouter d'autres exemples du bel canto verdien.
MS