Chroniques

par michel slama

Giuseppe Verdi
La traviata | La dévoyée

1 DVD Arthaus Musik (2005)
101 247
Giuseppe Verdi | La traviata

Une Traviata de plus ? Hélas, oui… Captée à l'Opéra de Zurich en 2005, l'affiche proposée pouvait paraître pourtant intéressante : Eva Mei, qu'on apprécie de plus en plus au fil de ses incarnations d'héroïnes belcantistes – comme, récemment, dans La Sonnambula de Bellini [lire notre critique du DVD] –, Piotr Beczala en Alfredo, qu'on avait aimé dans la belle Flûte Enchantée de Benno Besson à Garnier, et Thomas Hampson, qu'on aimerait prendre pour le nouveau Fischer-Dieskau de sa génération.

La déception est presque totale : une Violetta incolore et sans puissance, qui a bien du mal à assumer les trois tessitures exigées par le rôle. Au premier acte, ses vocalises sont laborieuses. Peu aidée par la direction routinière, teutonne et tonitruante de Franz Welser-Möst, son duo avec Alfredo sombre dans le ridicule. Il faut dire que le chef autrichien mène son orchestre à la baguette, quel que soit le chanteur qu'il est censé accompagner. Le Chœur, aux prises avec les gesticulations voulues par le metteur en scène, est en décalage : peu importe, Welser-Möst continue son bonhomme de chemin, tambour battant !

Le grand air E strano qui clôt l'acte éprouve encore plus notre Violetta. Visiblement, sa ligne de chant, pauvre en médium et en graves, gênée par des vocalises non maîtrisées, est incapable de suivre les indications de la partition. Si elle se rattrape au deuxième acte, face à un Thomas Hampson en méforme totale, elle est trop extérieure au troisième pour nous émouvoir dans le fameux Alfredo, Alfredo. Malgré le plaisir qu'on prend à écouter le couplet habituellement sacrifié de E strano, comme celui de Addio del passato du quatrième acte, sa Traviata reste superficielle et peu attachante.

À ses côtés, Piotr Beczala, qu'on attendait avec impatience dans Verdi, déçoit terriblement. À un jeu de scène complètement inexistant, il associe une voix mal maîtrisée que seul le beau timbre sauve. Les phrases finissent toutes sur des notes approximatives, il semble forcer sur les aigus qui mettent nos oreilles à dure épreuve. Impavide et monolithique, il a du mal à s'investir dans l'aventure.

Mais le plus grave problème de cette production réside dans le choix absurde de Thomas Hampson. Parti pris invraisemblable du metteur en scène, il apparaît enlaidi à outrance, déguisé comme un petit employé de bureau médiocre, qui se propose de composer le plus veule et le plus antipathique des Germont. Si on ajoute à ce personnage qu'on a connu ailleurs noble et élégant une ligne de chant inadaptée et vériste en diable, nous arrivons au plus gros contresens de casting de ces dernières années. Quelle déception d'entendre ce grand chanteur spécialisé dans les emplois de baryton Martin se fourvoyer dans la partition de Verdi et surjouer de façon hystérique et maladroite ce père implacable et borné !

Espérons que la faute en revienne au metteur en scène qui ne brille pas par sa direction d'acteurs, ni par son originalité. Aux poncifs les plus éculés (le verre de champagne jeté, accompagné du rire de Violetta pour annoncer le Sempre libera), une sensation de déjà vu persiste. Au quatrième acte, le ballet est entaché d'un mauvais goût particulier ; avec l'absence de grâce des bohémiennes, qui semblent venir de Carmen. Mais qu'importe, Jurgen Flimm n'en est pas à cela près, puisque les toreros, eux, ont emprunté leurs costumes à ceux de Manon, caricaturée par Flora, la reine de la fête.

On n'évite pas non plus une pitoyable pantomime où un choriste barbu se déguise en bohémienne pour séduire, de tous ses atours virils, le marquis d'Obigny, le clou de l'inventivité consistant à masquer tous les personnages, à l'exception des trois protagonistes, (Violetta, Alfredo et Germont), après le tête-à-tête passionné des ex-amants. Des décors et des costumes sans intérêt, plutôt laids, et des seconds rôles médiocres finissent d'anéantir définitivement cette production qu'on oubliera vite.

Dans l'offre pléthorique, mais non exhaustive, des Traviata disponibles en DVD, le lecteur restera fidèle à la production de 1994 de Covent Garden, dirigée par Georg Solti, avec la jeune Angela Gheorghiu dans le rôle-titre.

MS