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Chroniques
Giuseppe Verdi
Rigoletto
Graham Vick est l'auteur de mises en scènes marquantes : un grandiose King Arthur au Châtelet, du temps de Lissner, une excellente Mahagonny à la Bastille sous le mandat d'Hughes Gall, voire un très bon Parsifal dans ces mêmes murs. Malheureusement, depuis quelques années, il semble en grande perte de vitesse ; pire, il se prend les pieds dans le tapis. En raison de l'accueil glacial qui lui fut réservé par le public, les artistes et la presse, sa production de La Flûte enchantée au Festival de Salzbourg en 2005 fut remisée définitivement dès la fin des représentations ! Le festival fut contraint de louer une production de l'Opéra d'Amsterdam pour combler le trou ainsi ouvert dans le projet d'intégrale Mozart. On était donc curieux de voir ce que pouvait donner cette production barcelonaise de 2004. Force est de constater que l'on se situe à un rare niveau d'indigence scénique !
Certes, Rigoletto est une œuvre populaire où la musique parle d'elle-même ; cependant, on se demande pourquoi gratifier le spectateur d'une telle absence dans le creusement des personnages. Tout est comme il faut et même bien appuyé : plus bossu et laid que jamais, Rigoletto ressemble à Elephant Man (on plaint le pauvre Carlos Álvarez qui ruisselle de sueur tout au long de la représentation), Gilda est une belle petite blonde naïve perdue derrière ses bondieuseries et le grossier pommier de son jardin alors que Le Duc séduit machinalement. Les mouvements et la direction d'acteur sont téléphonés et l'œil est plongé dans une certaine léthargie augmentée par les décors et les costumes (insipides quand ils ne sont pas forts laids) passe-partout de Paul Brown.
Musicalement, c'est fort heureusement plus intéressant ! Dans la fosse, Jesús López-Cobos dirige de manière précise, musicale et attentive au chant. Pourtant, il manque à sa conduite de la flamme et du drame, sans doute à cause d'une certaines rapidité des tempi.
Grande star de cette distribution, Marcelo Álvarez est le plus magnifique Duc du moment : son timbre lumineux et solaire, ainsi que sa technique, lui permettent les plus incroyables nuances ; ses grands airs sont de véritables moments de bonheur. Grand chanteur actuel, Carlos Álvarez livre une excellente prestation. Son timbre est idéal pour ce rôle et l'incarnation du personnage est digne d'éloges. Il devient incontestablement l'un des plus intéressants titulaires du bossu. Inva Mula est une très bonne chanteuse ; touchante, fragile mais un peu fade par rapport à ces deux chanteurs d'exceptions. Le reste de la distribution – Julian Konstantinov (Sparafucile), Nino Surguladze (Maddalena) – est présentable, à défaut de faire des étincelles. Il faut saluer la belle homogénéité et les riches couleurs de Chœur du Liceu.
L'éternel adage que des bons chanteurs peuvent sauver du désastre un spectacle scéniquement navrant est encore prouvé par ce DVD. On regrettera également une image qui manque de netteté et une prise de son floue, l'ensemble étant très en dessous de certains standards actuels. En l'absence de grand choc vidéographique dans cette oeuvre, on peut rester fidèle de l'intéressant Rigoletto scénographié par David McVicar avec le même Marcelo Álvarez (Opus Arte).
PJT