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Chroniques
Giuseppe Verdi
Ernani | Hernani
On peut ne rien savoir de la Querelle des Bouffons mais sans doute pas ignorer ce que fut la Bataille d’Hernani, point d’orgue de tensions politico-esthétiques qui empoisonnèrent le milieu théâtral durant de longues années. Dans les premières décennies du XIXe siècle, soutenu par une censure royale qui décourage les sujets français – pensons à cette Marion de Lorme (1831) bien gênante, qui met en scène un Louis XIII chasseur et bigot dont Charles X partage les pratiques –, le classicisme y domine encore, alors que le romantisme s’épanouit partout ailleurs. Malgré ces aléas, le jeune Victor Hugo (1802-1885) se met à l’écriture d’Hernani ou L’Honneur castillan en août et septembre 1829, puis fait lire en octobre sa nouvelle pièce devant la troupe de la Comédie-Française.
Mademoiselle Mars, Firmin, Michelot et Joanny découvrent l’histoire à défendre quelques mois plus tard, tirée d’une vieille chronique espagnole : celle de Don Juan d’Aragon, noble du XVIe siècle connu sous le nom d’Hernani, qui conduit une troupe de bandits dans l’espoir de détrôner le roi Carlos dont le père fit décapiter le sien. Les deux hommes aiment la même femme, Doña Sol de Silva, que son vieil oncle Don Ruy Gomez de Silva prévoit d’épouser. Un pacte fatal lie bientôt le jeune homme au vieillard, qui entrainera le trio à la mort, alors même que Carlos, devenu empereur, fait table rase des conflits passés.
Là encore, la censure s’attaque au fond, mais sans toucher aux hardiesses du style, espérant ainsi discréditer l’auteur, tandis que la presse acquise à l’arrière-garde démolie la pièce à l’avance. Mais partisans et amis du novateur accompagnent la naissance du drame, le 25 février 1830, si bien que les représentations successives conjuguent scènes de chahut et triomphe financier. La légende s’empare de l’événement, que Théophile Gauthier polirait encore cinquante ans plus tard, à la veille de s’éteindre : « nous avons eu l’honneur d’être enrôlé dans ces jeunes bandes qui combattaient pour l’idéal, la poésie et la liberté de l’art, avec un enthousiasme, une bravoure et un dévouement qu’on ne connaît plus aujourd’hui ».
Lorsque Verdi transpose la pièce pour l’opéra, moins de quinze ans plus tard, Hugo n’a pas encore soutenu le neveu du « héros d’Arcole », lequel deviendrait Napoléon III – ainsi que son pire ennemi – à l’issue du coup d’état de 1851. Le musicien italien, qui a confié à Milan la création de ses quatre premiers ouvrages lyriques, souhaite répondre aux sollicitations de Venise. Nabucco puis I Lombardi sont programmés à La Fenice avant que l’inédit Ernani y voit le jour avec succès, le 9 mars 1844, sur un livret de Francesco Maria Piave – ce dernier travaillera ensuite pour I due Foscari qu’attend Rome, ouvrage qui confirmerait l’attention de Verdi au développement psychologique des personnages [lire notre critique du DVD].
De l’ouvrage qui, fin 1845, comptait déjà une cinquantaine de productions italiennes et une vingtaine partout ailleurs, Le Teatro Regio di Parma propose une nouvelle vision en mai 2005. « Nouvelle » mais pas « audacieuse » puisqu’un omniscient Pier’Alli (mise en scène, décors, costumes et lumières) offre une production convenue qui ne gênera personne – notre collaborateur Claude Fabre, lors d’une sortie chez Dynamic en 2007, la résuma alors par un lapidaire « classique (trop ?) ».
Encore proche de Donizetti et Bellini, la musique est confiée à Antonello Allemandi qui respecte les voix en conservant sa légèreté à la couleur orchestrale. On peut donc se régaler de chanteurs de bonne compagnie tels Susan Neves (Elvira), soprano dramatique agile et expressif aux graves imposants, Carlo Guelfi (Don Carlo), baryton un rien nasalisé mais vaillant et robuste, et Giacomo Prestia (Don Silva), basse dont le vibrato envahissant ne gâche en rien le grain magnifique. Si on l’apprécie pour son aigu lumineux et sa précision ornementale, Marco Berti (Ernani) déçoit parfois par un manque de justesse, et plus encore par l’absence de nuances. Le « chœur maison » se montre excellent, tant pour sa vivacité que sa fermeté.
LB