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Chroniques
Giuseppe Verdi
Stiffelio
À partir de la pièce écrite par Eugène Bourgeois et Émile Souvestre (grand-oncle du créateur de Fantomas), Le pasteur ou L’évangile et le foyer (1849), puis de sa traduction par Gaetano Vestri sous le nom de Stifellius, le fidèle Francesco Maria Piave va fournir à Verdi un nouveau livret, juste après la création houleuse de Luisa Miller à Naples – où fut jadis donné Alzira [lire notre critique du DVD]. Le compositeur destine cette fois son travail au Teatro Grande de l’autrichienne et bourgeoise Trieste ; mais préoccupé par un Rigoletto qui répondait à une commande de La Fenice (Venise) et verrait le jour le 11 mars 1851 [lire notre critique du DVD], il habille d’une musique écrite à la hâte le sujet sulfureux de Stiffelio, soumise aux mélomanes le 16 novembre 1850.
Pasteur évangéliste, Stiffelio séjourne avec son épouse Lina au château de son beau-père et ancien colonel Stankar, lequel soupçonne à juste titre sa fille d’adultère. En effet, celle-ci a cédé au jeune Raffaelle dans un moment de faiblesse qui la torture et qu’elle souhaite confesser depuis. Pour préserver l’honneur de la famille, son père le lui interdit. Stiffelio, quant à lui, ferme les yeux sur les preuves de l’infidélité de son épouse mais s’inquiète de l’alliance disparue à son doigt. La vérité lui est dite à l’Acte II, au cimetière où repose la mère de Lina, lorsque Stankar explique les raisons d’un duel avec Raffaele. Déchiré entre le désir de vengeance et sa mission chrétienne, le pasteur s’évanouit. Revenu à lui, il propose le divorce à Lina, ce qu’elle accepte comme une punition méritée tout en signifiant son amour pour son mari. Pendant ce temps, Stankar renonce au suicide pour tourner son arme contre le séducteur. L’ouvrage se termine avec la parabole de la femme adultère prononcée par Stiffelio devant la congrégation réunie à l’église. Le pardon est accordé à Lina – toujours sa femme ou non ?
On le voit, la futilité n’est pas de mise dans le quinzième opéra de Verdi, au point que la censure impériale fit faire des modifications (« Pasteur, confessez-moi ! » devint « Rodolfo, écoutez-moi ! », etc.) et que le public témoigna son désarroi. C’est pourtant la profondeur du dilemme central, l’absence d’éléments saugrenus, qui intéressent aujourd’hui, au point qu’on regrette la maigre visibilité de l’ouvrage (au rang du nombre de représentations, Stiffelio décroche la place 19 sur 26). De plus, si ses trois actes sont mis en scène avec sobriété et réalisme comme le propose Guy Montavon au Teatro Regio di Parma en avril 2012 – à l’exception du sol gravé, qui rappelle les murs « en braille » de récents Puritani [lire notre critique du DVD] –, l’aventure mérite le détour.
La distribution s’avère efficiente, même si Roberto Aronica (Stiffelio), avec une solide ligne de chant, offre aussi un timbre métallique et quelques éraillements. Yu Guanqun (Lina) incarne l’épouse affligée avec rondeur, ampleur et concentration. Vaillant sans oublier la nuance, Roberto Frontali (Stankar) est un pater familias inflexible, comme Verdi les affectionne – songeons à l’écervelé géniteur de Giovanna d’Arco… [lire notre critique du DVD] Si le rôle-titre semble « un Othello déguisé en prêtre » – comme l’exprimait José Cura, rejoignant cette production présentée à Monte-Carlo, un an plus tard –, Gabriele Mangione (Raffaelle), vêtu du rouge de la luxure, fait figure de Don Juan dans cet univers ascétique. Le ténor se montre sain et brillant. George Andguladze (Jorg), Cosimo Vassallo (Federico) et Lorelay Solis (Dorotea) assurent les seconds rôles et Andrea Battistoni une direction musicale vivement contrastée qui, dès l’Ouverture, reflète les tourments du serviteur divin.
LB