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Chroniques
Giuseppe Verdi
Alzira | Alzire
Quelques années après le succès de l’orientale Zaïre (1732) – dont Mercadante, à l’inverse de Bellini, ferait un beau succès lyrique, un siècle plus tard [lire notre critique du CD] –, Voltaire choisit la ville péruvienne de La Ciudad de los Reyes (Lima) et la conquête espagnole du XVIe siècle comme éléments d’Alzire, ou les Américains (1736). Écrite pour regagner la confiance du roi et se réconcilier avec les dévots, cette nouvelle tragédie ne remet pas en doute la suprématie du Dieu chrétien mais l’appartenance à la race humaine des colons d’hier ou d’aujourd’hui, insensibles à « l’horreur de l’injustice et de l’oppression ». Ce que démontrent assez les premières lignes d’introduction à une pièce créée le 27 janvier au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain par la Comédie française, puis présentée une vingtaine de fois, dont deux à la cour :
« on a tâché dans cette tragédie, toute d’invention et d’une espèce assez neuve, de faire voir combien le véritable esprit de religion l’emporte sur les vertus de la nature. La religion d’un barbare consiste à offrir à ses dieux le sang de ses ennemis. Un chrétien mal instruit n’est souvent guère plus juste. Être fidèle à quelques pratiques inutiles, et infidèle aux vrais devoirs de l’homme ; faire certaines prières, et garder ses vices ; jeûner, mais haïr ; cabaler, persécuter, voilà sa religion. Celle du chrétien véritable est de regarder tous les hommes comme ses frères, de leur faire du bien et de leur pardonner le mal ».
Paradoxalement, le tour de force du penseur va devenir le pire opéra de Verdi – aujourd’hui encore le moins représenté. La raison tient sans doute à un épuisement du musicien face aux commandes, puisqu’en un an et demi, suite au succès d’Ernani (1844), il livre coup sur coup I due Foscari à Rome [lire notre critique du DVD], Giovanna d’Arco à Milan [lire notre critique du DVD] et donc Alzira, créé à Naples le 12 août 1845. Mais l’opportunité de travailler avec Salvatore Cammarano, librettiste à succès de Donizetti, ne se refuse pas, surtout s’il met en relief un trio amoureux plutôt qu’un pamphlet ! Composé en moins d’un mois et sans beaucoup de peine, reconnaît Verdi qui le dira même « franchement mauvais », l’ouvrage en un prologue et deux actes reçoit un accueil mitigé.
Après celles de Vivaldi et Graun tout récemment [lire nos critiques de Motezuma et Montezuma], c’est une conquête espagnole au concert que nous apprécions grâce aux soirées italiennes des 13 et 15 septembre 2012, au Festival Alto Adige (Dobbiaco). À l’aide de huit chaises partagées entre cour et jardin, et d’une scène offerte à des chanteurs investis, libres de s’embrasser ou de se mettre à genoux, Andreas Leisner maintient l’attention du public bien mieux que certaines productions belcantistes plus théâtrales mais figées – au point que l’ouvrage paraît aimable, mis à part l’attendrissement ridicule du salaud de l’histoire, à l’heure de mourir. Gustav Kuhn, qui alterne élan romantique et nudité précautionneuse à la tête de l’Orchestra Haydn di Bolzano e Trento, contribue au succès de l’événement.
Dans un rôle-titre qui la confronte à un chantage que connaitrait Tosca, Junko Saito offre un chant clair, facile et incisif jusqu’à la crudité avant de s’assouplir, en particulier dans des duos avec Ferdinand von Bothmer (Zamoro), ténor tout en souffle, vaillance et charisme. Le baryton Thomas Gazheli (Gusmano) déçoit par un chant assez frustre et engorgé. Sans démériter, Francesco Facini (Alvaro) se montre, comme son personnage, « accablé par le poids des ans ». Yasushi Hirano (Ataliba), basse onctueuse et colorée, complète la distribution avec les prometteurs Anna Lucia Nardi (Zuma), Joshua Lindsay (Ovando) et Joe Tsuchizaki (Otumbo). Outre des solistes qui rappellent combien l’Asie participe actuellement au renouveau vocal, saluons l’Istituto Corale ed Orchestrale di Dobbiaco, des plus brillants.
LB