Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Don Carlo

1 DVD Opus Arte (2015)
OA 1128 D
En 2013, Gianandrea Noseda joue Don Carlo (1884), opéra de Verdi

À mesure que le XIXe siècle gagne en âge, moins par envie que par nécessité, plus d’un compositeur italien désire triompher sur la scène parisienne, à l’instar de Cherubini, Spontini, Rossini, Bellini et Donizetti. En ce qui le concerne, Giuseppe Verdi (1813-1901) commence par adapter ses ouvrages pour la capitale française – Jérusalem (1847) [lire notre critique du DVD], Macbeth (1865) – avant de lui accorder la primeur de certains autres – Les vêpres siciliennes (1855). Mais la collaboration ne se passe pas de gaîté de cœur puisque, très tôt, l’artiste déplore la mauvaise qualité des musiciens français ainsi que la dictature du « bon goût ». Il confie : « à Londres, on monte bien une œuvre en quarante jours, alors qu’à Paris, il faut des mois pour la monter mal » !

Face aux commandes que Verdi honore plus volontiers pour Parme, Venise, Rimini, Rome et Saint-Pétersbourg, le directeur de l’Opéra de Paris ne désespère pas d’intéresser le créateur de Stiffelio (1850) [lire notre critique du DVD], plus à l’aise avec des scènes intimistes que grandiloquentes. Au terme d’âpres négociations, il lui arrache la promesse d’écrire Don Carlos, sur un livret signé Joseph Méry et Camille du Locle, d’après la pièce éponyme de Schiller (1787). Les répétitions de ce grand opéra en cinq actes débutent en septembre 1866, et les représentations à partir du 11 mars 1867. Déçu par un accueil mitigé, Verdi retourne dans son pays où, des années plus tard, la Scala (Milan) fait connaître un Don Carlo raccourci et traduit (10 janvier 1884).

Dix ans après celle de Willy Decker [lire notre critique du DVD], Opus Arte fait découvrir la vision de l’Argentin Hugo de Ana, en charge de la mise en scène, des décors et costumes. Qui ne conçoit le grand opéra historique sans le luxe du réalisme va se régaler : ici tout ravit, des piliers et statues gigantesques qui n’écrasent en rien l’espace de jeu jusqu’au moindre drapeau brodé. Filmée lors d’une reprise d’avril 2013, cette production piémontaise de 2006 s’apparente au « grand art », qui convoque mystère, profondeur et même un excès de pompe sublimant l’incartade du rebelle Carlo. De plus, Gianandrea Noseda s’y montre d’une grande délicatesse, à la tête de l’Orchestra del Teatro Regio di Torino.

S’il plafonne un peu sur l’aigu, Ramón Vargas est un rôle-titre souple et onctueux, d’un legato infini. On se souviendra de certains échanges subtils avec Ludovic Tézier (Rodrigo), baryton d’un grand souffle à la stabilité souveraine. Face à ce dernier, Ildar Abdrazakov (Philippe II) paraît un peu terne tout d’abord, mais la grande basse chantante révèle bientôt sa voix ronde et sonore [lire nos critiques de Moïse et Pharaon et de Prince Igor]. Si Daniela Barcellona (Princesse Eboli) séduit par sa facilité et Sonia Ciani (Tebaldo) par son aisance, on apprécie moins la peu charismatique Svetlana Kasyan (Élisabeth de Valois), soprano au timbre lisse, seulement à l’aise dans la vaillance. On déplore aussi que le chant de Marco Spotti (Grand Inquisiteur) trébuche à trop s’investir théâtralement dans son terrible personnage.

LB