Chroniques

par bertrand bolognesi

Giuseppe Verdi
Otello | Othello

1 DVD C Major (2017)
740008
Christian Thielemann joue Otello (1887), à l'Osterfespiele Salzburg 2016

Pour fêter les quatre cents ans de la disparition de William Shakespeare, maisons d’opéra et festivals mirent les bouchées doubles tout au long de l’année 2016. Si l’on vit ici et là de nombreux ouvrages lyriques inspirés par l’œuvre du dramaturge britannique, à Budapest l’Opéra national Hongrois consacrait, quant à lui, toute une quinzaine printanière à ce phénomène, avec son cycle Shakespeare400+ quiosait des raretés [lire nos chroniques de Sly et de Lear] – au chapitre des audaces, citons également l’Amleto de Franco Faccio et l’Hamlet nouveau d’Anno Schreier, respectivement vus au Bregenzer Festspiele et au Theater an der Wien [lire nos chroniques des 28 juillet et 21 septembre 2016] ! Le catalogue verdien puise lui aussi dans ce théâtre, avec Macbeth, Otello et Falstaff. Le second est assurément le plus joué des trois, tant sa concentration dramatique fait de l’effet, ce que n’a pas démenti la saison 2015-16 durant laquelle nous en pûmes aborder cinq, signés Paco Azorín, Bartlett Sher, Andreas Kriegenburg, Michael Thalheimer et Stefano Poda [lire nos chroniques des productions du Festival Castell Peralada, du Met’ (New York), du Liceu (Barcelone), du Vlaamse Opera (Anvers) et du Magyar Állami Operaház (Budapest). L’Osterfestpiele Salzburg (festival de Pâques de Salbourg) ne dérogeait point à cette contagion en affichant Otello, filmé par Tiziano Mancini entre le 16 et le 27 mars 2016, et désormais disponible sous label C Major.

Mais plusieurs soucis viennent gâcher le plaisir, à tous les niveaux. Des circonstances malheureuses modifièrent la distribution initialement prévue : alors que l’intrigue repose sur deux rôles masculins, les chanteurs qui les devaient incarner durent annuler leur participation pour soigner d’urgence un cancer qui galopa si sûrement qu’à l’heure actuel ils ne sont plus – le 8 septembre 2016, nous perdions le ténor sud-africain Johan Botha, puis le baryton russe Dmitri Khvorostovski le 22 novembre 2017. José Cura ne démérite certes pas en Otello, un rôle qu’il a beaucoup chanté et qu’il mène haut la main, bien que la voix accuse une fatigue relative. De même Carlos Álvarez connaît-il indiscutablement son Iago. Mais leurs prestations démontrent une certaine routine qui ne porte pas ces personnages vers les sommets. Pourquoi avoir choisi Dorothea Röschmann pour chanter Desdemona ? Pour grandement apprécier le soprano dont l’art n’est pas à mettre en doute, sa tentative verdienne demeure d’une chasteté soporifique, pour ainsi dire, sans compter sur une diction italienne approximative qui pourrait presque avoir pour vertu d’inviter la belle dans le champ des êtres mentalement diminués… Benjamin Bernheim n’est pas non plus à son avantage dans un Cassio tant falot que poussif. Quatre voix satisfont : Csaba Szegedi en ferme Montano, Christa Mayer qui donne une Emilia chaleureuse et fort musicale, le jeune ténor norvégien Bror Magnus Tødenes remarquable en Roderigo d’une clarté envoutante, enfin Georg Zeppenfeld qu’on retrouve avec bonheur en noble Lodovico. Ce sont pourtant là rôles secondaires, voire petits rôles…

Deuxième obstacle, la direction du directeur de l’Osterfestpiele Salzburg. À la tête d’une Staatskappelle Dresden plus soyeuse que jamais, Christian Thielemann surpique chaque détail au point d’oublier le drame – voilà qui explique en partie la difficulté des chanteurs à faire naître amour, jalousie, ambition, vengeance et furie criminelle sur une lecture aussi froidement jolie. Il ne s’agit pas d’évaluer l’éventuelle italianità de cette exécution, non, mais reconnaissons qu’un Otello préraphaélite n’a pas grand-chose en commun avec l’écriture des passions par Verdi.

La mise en scène de Vincent Boussard est le troisième récif à fissurer définitivement la bonne volonté du spectateur. Fidèle à sa méthode efficace de s’en tenir à l’ouvrage plutôt qu’à ses sources inspiratrices [lire notre chronique de son Hamlet d‘Ambroise Thomas], il surenchérit la diabolisation d’Iago en convoquant un ange noir (la danseuse Sofia Pintzou) qui, omniprésent, rôde dessus les dangers qu’il fait encourir aux mortels. Par volonté ou suite à un malentendu Arrigo Boito mit l’argument entre les mains d’un Iago terrible, par-delà Shakespeare qui concentrait l’argument sur la jalousie maladive d’Othello, son second n’étant qu’un esprit assez grossier pour dire toujours ce qu’il n’eût pas fallu au point de mettre le feu au fauteuil quand il s’agissait juste de bouffonner un peu. Il en résulte une affaire assez juteuse pour avoir fait le succès de l’opéra. Fallait-il vraiment pousser plus loin encore le geste de Boito et de Verdi en faisant planer là des plumes charbonneuses ? La scénographie élégante et dépouillée de Vincent Lemaire, d’un bon goût assez abrutissant, tisse des clairs-obscurs peu fertiles, dominés par une voile redondante, tour à tour substrat de la flotte victorieuse dans la tempête et fazzoletto fatidique. Les costumes précieux de Christian Lacroix sont principalement habités par le siècle du compositeur, tout en intégrant les fraises élisabéthaines de la Renaissance et même paletot et cigarette d’aujourd’hui. Louons le travail des Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor et Sächsischer Staatsopernchor Dresden, musicalement efficaces mais laissés en rangs d’oignons par un metteur en scène qui, bizarrement, semble s’être fort peu investi dans la direction d’acteurs. Quitte à garder un souvenir salzbourgeois d’Otello, on s’en tiendra à la version de Stephen Langridge et Riccardo Muti, captée lors de l’édition estivale 2008 [lire notre critique du DVD].

BB