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Chroniques
Giuseppe Verdi
Simon Boccanegra
Ni lors de la première à La Fenice, le 12 mars 1857, ni à Naples ou à Milan par la suite, Simon Boccanegra rencontre l'adhésion du public. On reproche beaucoup au livet de Francesco Maria Piave : un sujet trop sérieux – l'histoire de Boccanegra, élu Doge de Gênes en 1339, qui tenta de réconcilier plébéiens et patriciens d’un côté, sa ville avec Venise de l’autre et œuvra pour l'unification de l'Italie – ainsi qu'une action difficile à comprendre – les complots se font et se défont, les proches du Doge cèdent à la trahison, etc. Giuseppe Verdi est aussi mis en cause, sa musique étant jugée trop sérieuse, plus germanique qu'italienne (c'est évident sur le début de l'Acte III, lors de l'extinction des flambeaux). Après les succès de Rigoletto (1851) et de La Traviata (1853), le musicien toujours en quête de sujets novateurs vit cette soirée comme un malheur.
Vingt-quatre ans plus tard, à partir du livret retravaillé par Arrigo Boito (auteur d’Otello, Falstaff, etc.), l'ouvrage est revu par Verdi et en ressort assez différent, comme pour le lever de rideau qui se fait désormais au milieu de la conversation entre les conspirateurs Pietro et Paolo. Environ un tiers de la version initiale est transformée, voire réécrite. Musicalement, un style de déclamation homogène est privilégié, plutôt que la répartition traditionnelle (arie, recitativi, etc.). L'orchestre fait plus qu'accompagner l'action : il la commente. Présentée à la Scala, la seconde version de l'œuvre devient, ce 24 mars 1881, un succès qui convainc public et critique réunis. Pour notre part, il aurait fallu s'attaquer aussi au secret de la filiation Simon / Amelia qui sert trop souvent de coup de théâtre dans l'opéra, ainsi qu’à quelques bêtises comme la facilité de la jeune fille à s'échapper après son enlèvement ou au quatuor vocal qui dessert l'émotion qu'aurait provoquée une mort plus intime.
C'est un personnage bien construit, public et intime que le baryton Carlo Guelfi incarne ici, usant d'une voix souple et chaude, d'un jeu simple. Ses duos avec Julian Konstantinov (Jacopo Fiesco), basse puissante et sonore – qui dérape un peu parfois –, sont scéniquement crédibles et musicalement harmonieux. Ne serait-ce que par un désespoir sobre lors de la mort de sa fille, ce beau-père patricien est un rôle attachant. La soprano Karita Mattila nous enthousiasme dès son premier air pétri d’évidence (Come in quest'ora bruna) où, avec de faux airs de Callas, elle sert la subtilité d’un passage fait de langueur amoureuse et de souvenirs douloureux. Vincenzo La Scola (Gabriele Adorno) est un ténor puissant, précis, au timbre coloré, idéal pour le drame vériste. Le baryton Lucio Gallo (Paolo Albiani) campe le méchant du spectacle, bien décevant : la voix est quelconque et semble fatiguée, le jeu quasi expressionniste tranche avec le ton général plus réaliste – d'où ce sourire qui nous vient aux lèvres en regardant la scène de malédiction (fin du premier acte) lorsqu'il roule des yeux encore plus vertigineusement qu'au début.
Les scènes chorales sont enthousiasmantes, grâce à la finesse du Chœur du Maggio Musicale Fiorentino dans cet ouvrage qui lui réserve de beaux passages pianissimo (les femmes en prière, par exemple). Excellent est aussi l'orchestre, sous la direction de Claudio Abbado ; dès le prologue, le moelleux des cordes est une invitation à redécouvrir la partition.
Enfin, si la belle mise en scène de Peter Stein est filmée avec talent, on regrette que le décor ait mélangé, sans cohérence sur la longueur, minimalisme et même désolation sur certaines scènes et hyperréalisme (le Palais du Doge) sur d'autres.
SM