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Chroniques
Giuseppe Verdi
Otello
NVC-ARTS poursuit le transfert sur support DVD des grands titres de son catalogue. L'Otello des Arènes de Vérone, qui fut l'un des must en VHS de cet éditeur, nous est aujourd'hui restitué dans une qualité sonore et visuelle d'un tel niveau qu'elle relègue la vieille cassette que nous connaissions aux oubliettes… Aujourd'hui, ce nouveau format implique un changement d'habillage : cette fois, Otello et son épouse n'illustrent plus la couverture, mais Desdemona toute seule, la grande Kiri Te Kanawa, certes plus médiatique que Vladimir Atlantov, méconnu du grand public.
En 1982, alors âgée de trente-huit ans, la diva néo-zélandaise est au sommet d’une carrière internationale commencée dix ans auparavant. Elle est une habituée du rôle de l'épouse malheureuse du Maure. Même si la carrière de Dame Kiri l'orienta plus vers Mozart et Strauss que vers Verdi et Puccini, Otello reste pour elle un opéra fétiche. De Verdi, elle abordera également l'Amelia de Simon Boccanegra et Violetta à la scène, deux grands rôles fêtés au disque et en vidéo (Amelia, par deux fois). Exactement dix ans plus tard, un deuxième enregistrement vidéo d'Otello capté à Covent Garden aux côtés de Plácido Domingo et de Georg Solti à Covent Garden nous la révèlerait un peu moins en forme vocalement, mais encore plus émouvante. En CD, la même année, elle gravera une intégrale injustement oubliée, avec un Luciano Pavarotti idéal et Solti encore, son chef de prédilection. C'est dire combien ce rôle lui était cher.
Pour cette première captation, Kiri Te Kanawa est dans une forme incroyable. On sent bien la tension de l'artiste galvanisée par l'angoisse d'arriver à séduire ce public italien si difficile. Le résultat est proprement miraculeux. Elle se joue des difficultés de la partition et spécialement celles du Quatrième acte. A-t-on jamais entendu un Air du saule interprété aussi parfaitement, alliant technique, virtuosité, passion et suavité ? On a souvent vanté la beauté aussi bien vocale que physique de l'artiste ; force est de constater qu'un tel DVD ne peut qu'en être la preuve indéniable.
À ses côtés, Vladimir Atlantov, grand ténor russe, campe avec héroïsme vocal et autorité un Otello tourmenté, mais marmoréen. Ici, point de laisser-aller frisant l'hystérie ou de véhémente péroraison, mais au contraire une violence tout intériorisée, bien plus inquiétante… Il réussit la performance de composer un Maure à la fois puissant, impavide et vulnérable. Les grands Otello sont peu nombreux, à peine une dizaine : si l'on excepte les anciens, comme Vinay, Caruso ou Martinelli, Atlantov figure en bonne place aux côtés des deux monstres sacrés déjà cités et de Del Monaco et Vickers. Agé alors de 43 ans, il fut l'un des premiers à allier une carrière purement soviétique, en troupe au Kirov, à une ouverture vers le reste du monde : élève-artiste de la Scala de Milan en 1963, puis détenteur de nombreux prix internationaux, il continue de se produire en URSS et à Milan, Paris, Vienne, New York, étendant son répertoire russe aux catalogues français (Don José, Samson) et italiens (Otello, Cavaradossi, Canio).
En revanche, l'on restera plus réservé quant à la prestation de Piero Capucilli qu'on a connu plus concerné et mieux inspiré. Il nous propose un Iago frustre et primaire, chantant bien, sans génie ni intelligence. À aucun moment inquiétant, il se contente de veulerie et de bassesse, ce qui est forcément réducteur pour un tel personnage. En fin de carrière – il compte 53 ans –, le grand baryton n'a plus la fougue des débuts, malgré les seize rôles verdiens qu'il interpréta. À son palmarès, d'inoubliables interprétations de Rigoletto, Simon Boccanegra et Macbeth. Pour leur part, les comprimarii sont décevants, voire agaçants ; spécialement l'Emilia de Flora Rafanelli aux mimiques ridicules qui déclenchent plus l'hilarité que la compassion.
Cependant, l'on retrouve avec grand plaisir cette production très largement diffusée sur nos chaînes de télévision depuis sa création en 1982. Pour le plus grand plaisir du public véronais, Gianfranco de Bosio – dont la Tosca d'anthologie avec Domingo et Kabaïvanska vient d'être rééditée en DVD par Deutsche Grammophon [lire notre critique du DVD] – n'hésite pas à imaginer et reconstituer un grand péplum avec ballets, décors et costumes dignes du cinéma hollywoodien, plus attendu pour Aïda. Ne boudons pas notre plaisir pour autant, surtout que la direction d'orchestre flamboyante et toute en couleurs de Zoltán Pesko épouse parfaitement cette conception.
MS