Chroniques

par michel tibbaut

Granville Bantock
œuvres pour orchestre

1 coffret 6 CD Hyperion (2007)
CDS 44281/6
Granville Bantock | œuvres pour orchestre

Dans les notes accompagnant ce magnifique coffret de six CD qui regroupe opportunément six publications précédentes, Lewis Foreman dit très justement : « il est rare qu'une série d'enregistrements suffise presque à changer la réputation d'un compositeur auprès de la critique ; c'est pourtant ce qui s'est produit pour Sir Granville Bantock dont la musique, promue par Vernon Handley et le Royal Philharmonic Orchestra, fut une révélation. Enregistré par Hyperion entre août 1990 et avril 2003, ce triomphal survol de presque toutes les grandes œuvres orchestrales de Bantock a montré combien l'interprétation et l'exécution importaient pour bien évaluer cette musique ».

Sir Granville Bantock (1868-1946), musicien anglais né et mort à Londres, est peu connu sur le continent – par rapport à Elgar, Holst, Delius ou Vaughan Williams, par exemple – et c'est vraiment dommage, car il peut être considéré comme l'un des plus grands compositeurs responsables de la renaissance de la musique symphonique anglaise, comme le démontre magistralement le chef britannique Vernon Handley dans cet ensemble de six disques du label anglais qui lui rendent justice en rétablissant la place qu'il n'aurait jamais du quitter. Bien peu ont fait découvrir sa musique, et c'est tout à l'honneur de Hyperion de remplir remarquablement sa mission culturelle en ressuscitant cette musique digne d'un immense musicien, mais trop longtemps enfouie dans l'oubli (plus d'un demi-siècle !…).

Il faut bien avouer que la popularité de Bantock fut éclipsée par celle de son confrère et ami Edward Elgar, même si d'aucuns considèrent que sa musique est supérieure à celle du second, et même si celui-ci l'a défendu toute sa vie, proposant notamment à la Gramophone Company (l'actuelle EMI) que Bantock dirige ses œuvres les plus importantes pour l'enregistrement. Toute sa vie, il fut un ardent défenseur non seulement de la musique de ses collègues britanniques, mais aussi de celle de Sibelius. Dans ses œuvres, souvent inspirées par des thèmes celtiques ou orientaux, ou par des sujets littéraires, Bantock se révèle avant tout comme un coloriste et un mélodiste, autant dans ses quatre symphonies que dans ses poèmes symphoniques.

Il serait évidemment fastidieux de commenter les vingt-deux pages de ce précieux coffret dans lequel nous trouvons la Symphonie n°1 « des Hébrides » (1913), la Symphonie n°2 « Païenne » (1928), la Symphonie n°3 « la Déesse de Chypre » (1939) et la Symphonie n°4 « Celtique » (1940). Les trois premières sont pour orchestre au grand complet. La troisième fut rédigée lors d'une traversée du Pacifique en 1939 : c'est une œuvre de maturité, très méditative, au parfum oriental marqué, évoquant les mers ensoleillées. La quatrième, pour cordes et six harpes, est digne de la Tallis Fantasia de Vaughan Williams par la spiritualité et la sérénité qui s'en dégagent, typiques d'un artiste au soir de sa vie. La Symphonie des Hébrides fait alterner folk songs et paysages maritimes du Nord aux parfums évocateurs, tandis que dans la Païenne, Bantock situe son rêve dans l'antiquité classique, dans une vision arcadienne témoignant d'une érudition profonde, et dans un langage qui n'est pas sans rappeler ceux de Liszt et de Richard Strauss. C'est que ces deux compositeurs sont les principaux tenants du poème symphonique que Bantock a également brillamment illustré, notamment avec Fifine à la Foire (1911), d'après un poème de Robert Browning, et sous-titré assez audacieusement Défense de l'inconstance. Les Variations Helena, dans le sillage des Variations Enigma d'Elgar, composées en hommage à sa femme, date du printemps de sa carrière créative – première exécution en 1900 à Anvers par le compositeur. Dante and Beatrice est un poème symphonique d'une orchestration somptueuse dont la première en 1911 passa inaperçue auprès de la création de la Symphonie n°2 d'Elgar, seul événement d'importance dans l'esprit des critiques de l'époque, hélas.

Toutes ces partitions bouillonnant d'une musique mélodieuse, au lyrisme coloré et sincère, sont parfaitement défendues par Vernon Handley qui surpasse sans discussion aucune l'enregistrement pionnier de la Symphonie des Hébrides par Adrian Leaper (Marco Polo), ainsi que celui de Fifine à la Foire par Sir Thomas Beecham, malheureusement entaché de coupures. La prise de son superlative, les admirables solistes – Julian Lloyd Webber (violoncelle), Elizabeth Connell (soprano), Susan Bickley (mezzo-soprano), Kim Begley (ténor), William Prideaux (baryton) – et les qualités instrumentales des musiciens du Royal Philharmonic Orchestra y sont pour beaucoup, notamment les cordes et les cuivres. Le tout confère à ces précieux enregistrements une magie digne des plus beaux contes d'Orient. Pour ces œuvres d'une inspiration très riche dans les idées et dans l'orchestration, Hyperion se devait de nous proposer une prise de son à la hauteur : c'est ce qui fut admirablement accompli avec une splendeur incomparable, ne laissant aucun détail dans l'ombre, et plaçant naturellement l'auditeur devant l'orchestre. C'est une réussite exceptionnelle.

MT