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Chroniques
Guillaume Kosmicki
Musiques savantes – De John Zorn à la fin du monde et après... (1990-2015)
En évoquant le mur de Berlin et la fin de la guerre froide dans le titre des précédents ouvrages de sa trilogie [lire nos critiques du volume 1 et du volume 2], Guillaume Kosmicki affichait clairement qu’il analyserait la musique du XXe siècle à l’aune d’événements géopolitiques essentiels. Comment expliquer autrement la fuite vers l’Ouest de musiciens hostiles au bolchévisme, au nazisme, au communisme ? Comment justifier sinon l’envie de défricher de jeunes créateurs que la Seconde Guerre mondiale a rapprochés d’autant plus qu’on aurait voulu qu’ils se détestent ?
Pour la période 1990-2015, le musicologue annonce d’emblée « des cendres, des illusions, des espoirs ». Les États-Unis raflant la mise après l’effondrement de l’URSS, un monde sans transcendance voit le jour, où triomphe l’individualisme. Pourtant, la résistance s’organise sur tous les continents, favorisée par l’essor d’internet et des réseaux sociaux (Nation arc-en-ciel, Printemps arabe, altermondialisme, etc.). Culturellement, le mécénat privé pallie la démission des gouvernements, alors même que des pays autrefois fermés, comme la Chine, se passionnent pour l’art occidental.
En Europe, le sérialisme agonise, avec la tradition des manifestes et chefs de file. La musique cherche sa voie dans l’héritage moderne (Adès, Dusapin, Eötvös, Mantovani, Pintscher, Rihm), spectral (Benjamin, Fedele, Jarrell, Saariaho) ou romantique, dans le pire des cas (Escaich, Hersant) ; elle prolonge le minimalisme (Mulhy, Reich, Aphex Twin), fouille les extrêmes (Cendo, Furrer, Lachenmann, Sciarrino) et explore une transversalité savant/populaire (Neuwirth, Romitelli) – quand ils renoncent à l’abrutissement des masses, le jazz (Braxton, Zorn) et la pop (Björk) peuvent être un pont en sens inverse.
Ainsi que dans les deux premiers volumes, Guillaume Kosmicki présente une œuvre gravée – à l’exception de celle de Poppe, disponible grâce à un concert filmé – et résume de façon toujours remarquable la carrière et l’esthétique de son auteur. Sensible aux musiques électroniques auxquelles il a consacré un livre en 2009 [lire notre critique de l’ouvrage], il choisit des pièces mixtes signées Aperghis, Goebbels, Mâche, Manoury, Matalon, Moultaka, Sighicelli, Toeplitz, Xu et Zanési. Aux noms mentionnés plus haut s’ajoutent ceux d’Haddad, Hosokawa, Huber, Kyburz, Nunes, Palestine, Posadas et Stroppa.
En dix pages, l’auteur conclut son travail par une réflexion sur l’avenir, complétée par des entretiens réalisés entre 2012 et 2014, comme garde-fou pour ne pas s’égarer en chemin. Responsables d’institutions (Madlener, Marcel-Berlioz, Zanési), organisateurs (Duteurtre, Köhler) et musiciens (Harrington, Léandre, Morlet) livrent leurs pensées concernant le besoin de nouveauté et celui d’une diffusion le plus efficace possible, entre crainte et optimisme. « Il y aura toujours des gens qui se questionnent, dit la célèbre contrebassiste, qui réveillent, qui provoquent, qui révèlent d’autres manières de voir, d’entendre… ». Envers et contre tout, oui.
LB