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Chroniques
Gustav Mahler
Das Lied von der Erde
Sans être, à proprement parler, une galette déshonorante, le Chant de la terre de Marc Albrecht n’ajoute guère aux versions disponibles de l’œuvre. Tout d’abord, le choix des voix pourra surprendre. Ténor assurément brillant, Burkhard Fritz se révèle assez dur, souvent raide dans le bas-médium et parfois même imprécis. Sa proposition n’est cependant pas sans qualités, loin s’en faut : ainsi la vaillance s’impose-t-elle d’emblée, mais encore une onctuosité heureuse dans le médium et, surtout, un art de la nuance qu’il cisèle avec maîtrise. Le mezzo-soprano use d’un précieux velours, délicatement fondu dans les timbres de l’orchestre ; la couleur est chaleureuse (Der Abschied, notamment), mais jamais Alice Coote n’atteint le lyrisme « grand-format » qu’on aimerait goûter, surtout dans le dernier mouvement, dont l’amble vocale demeure nettement trop étroite. Sans cette plénitude-là, la dernière strophe – « Er stieg vom Pferd… » – ne gagne pas l’aura nécessaire. Enfin les « Ewig… » ne racontent rien. À considérer les deux voix, le plus curieux se révèle la diction, assez brumeuse d’un bout à l’autre de l’enregistrement, y compris dans le cas du ténor allemand, paradoxalement.
Le goût de Marc Albrecht pour la musique de Gustav Mahler s’est maintes fois exprimé. C’est d’ailleurs par une exécution de la Symphonie n°2 qu’il inaugurait sa direction de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, il y a quelques années [lire notre chronique du 29 septembre 2005]. Par la suite, sa brève carrière en France le concentrait sur Mahler comme sur Alban Berg [lire notre chronique du 18 janvier 2008], mais aussi Richard Strauss [lire notre critique du CD] ou Erich Wolfgang Korngold [lire notre chronique du 10 mars 2010]. Quant au niveau international, est-ce peu dire que de préciser qu’il jouait Lulu à Salzbourg, par exemple [lire notre chronique du 4 août 2010], ou encore Der Schatzgräber de Schreker à Amsterdam [lire notre chronique du 15 septembre 2012] ? Pourtant, par-delà une indéniable verve épique (Das Trinklied vom Jammer der Erde), une certaine « efficacité de confort », si l’on peut dire, et le bel élan du postlude du deuxième mouvement (Der Einsame im Herbst), l’insolence de la sautillante « chinoiserie » du III (Von der Jugend), la riche épaisseur brahmsienne du IV (Von der Schönheit), son Lied von der Erde ne semble pas tirer parti d’une expérience qu’on pouvait penser plus fructueuse.
Quoique pris dans une inflexion souple, le premier épisode reste brossé à gros trait. Sans pouvoir affirmer que tout n’y soit pas, il n’est pas avéré non plus que tout y soit, d’une certaine manière. L’équilibre pupitral du Nederlands Philharmonisch Orkest n’est jamais en cause, pas plus que la fiabilité générale des vents, la gelure savante des cordes dans le II, et tant d’autres bonnes choses. C’est bien plutôt dans l’accentuation qu’il faudra chercher la griffe d’Albrecht, un appui volontiers incisif, voire nerveux, quand il n’est pas « sportif » (IV).
Après une terne chanson à boire, la nudité de l’Abschied, dépassant jusqu’à la potentielle imitation du gong, paraît « droite ». Et c’est là que l’interprétation devient intéressante, dans cette assise stoïque contrastée par des accents cinglants. Loin de se passionner pour les moires Jugenstill de l’écriture, le chef s’attelle au feulement du violoncelle, aux interrogations tragiques et à des crudités « modernes ». C’est à peine si la discrète ciselure qui survient sept vers avant la fin – « Ich werde niemals in die Ferne schweifen… » – peut s’apparenter à une brève emphase, jamais lyrique.
BB