Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler
Symphonie en mi bémol majeur n°8

2 SACD Harmonia Mundi (2005)
HMC 901858.59
Gustav Mahler | Symphonie n°8

Certains disques ont le curieux pouvoir de mettre en colère celui qui les écoute… Dirigeant scrupuleusement une lecture d'une exceptionnelle clarté, sachant porter à sa juste altitude le Faust de Goethe sans concéder la moindre nébulosité, situant salutairement son interprétation dans une transparence spirituelle plutôt que dans des miasmes philosophiques, Kent Nagano livre la partition précisément corrigée par le compositeur dans l'édition publiée par les soins de la Société Gustav Mahler. Ici, le Veni creator qui ouvre la Symphonie n°8 en mi bémol majeur bénéficie d'une intelligibilité jusqu'alors presque inconcevable, dans un climat raisonnablement jubilatoire qui ne s'épuise jamais. Les Rundfunkchor Berlin et MDR Rundfunkchor Leipzig posent l'hymne comme l'on use d'un lustre pour illuminer un banquet de fruits ! Tout est ici amené avec une évidence déconcertante, pour ainsi dire céleste. Chaque ligne y trouve son relief, dans une différentiation discrète qui parvient magnifiquement à édifier le complexe ensemble. Notons que le Deutsches Sinfonieorchester a choisi d'enregistrer à la Philharmonie berlinoise dont on retrouve fidèlement l'acoustique particulière dans ces galettes.

C'est dans un grand recueillement que le chef amorce la seconde partie, soulignant à peine par la suite les débordements plus dramatiques, sans trop en faire, tout en se montrant très soucieux de préserver le fragile équilibre de certains passages. Cette très belle architecture qu'il édifie d'un geste musical parfaitement cohérent ne dédaigne pas, tout en respectant l'opulence à laquelle l'œuvre l'invite, de soigneusement ouvrager des dentelles de timbres, à l'ombre de délicates demi-teintes, absolument exquises.

Mais toutes ces bonnes choses sont tout simplement gâtées par une distribution dont on ne parvient pas à comprendre les motivations. Lynne Dawson tire sur la corde, le timbre comme fêlé de Sylvia Greenberg n'en peut mais, Jan-Hendrik Rootering demeure brumeux, tant dans l'expression que dans la réalisation des phrases descendantes, avec un grave sans corps, tandis que Robert Gambill, dont la vaillance se joue aisément d'une partie de ténor littéralement écrasante, accuse l'acidité d'un aigu nasillard, des tentatives de voix de tête mal amenées, dans une lecture pas toujours très propre où les intervalles restent approximatifs. Heureusement, Sophie Koch s'avère irréprochable et Sally Matthews lumineuse.

Deux voix dominent cette version : le jeune Detlef Roth au timbre joliment cuivré et au chant fort expressif, et la très nuancée Elena Manistina dont la richesse de couleurs est un vrai régal. Imaginons ce beau travail de Nagano avec une équipe plus probante ; certains disques ont aussi ce pouvoir de faire rêver celui qui les écoute…

BB