Chroniques

par richard letawe

Gustav Mahler
Das klagende Lied

2 CD San Francisco Symphony (2007)
821936-0017-2
Gustav Mahler | Das klagende Lied

Parmi la production de Gustav Mahler, Das klagende Lied (Le chant plaintif) est une sorte de parent pauvre : ses exécutions en concert sont très rares, et on n'en compte qu'une dizaine de versions discographiques. Mahler compose Das klagende Lied à la fin des années 1870. C'est une cantate en trois parties, sur un texte qu'il a écrit lui-même, inspiré par un conte de Ludwig Bechstein. Dans la première partie, Waldmärchen, une belle reine accordera sa main au preux qui lui apportera une fleur rouge aussi belle qu'elle. Deux frères partent à sa recherche dans la forêt. Le cadet, gentil et valeureux, trouve la fleur mais, sur le chemin du retour, est assassiné dans son sommeil par l'aîné qui la rapporte au château et réclame sa récompense. Dans la deuxième partie, Der Spielmann, un troubadour se taille une flûte avec un os brillant qu'il a trouvé dans la forêt. Lorsqu'il la porte à ses lèvres, la flûte lui raconte le meurtre et l'homme se rend au château. La troisième partie, Hochzeitsstück, se déroule durant les noces. Le ménestrel joue de sa flûte durant le banquet, propageant l'histoire du meurtre. Le nouveau roi s'empare de la flûte, mais lorsqu'il la saisit, la flûte le désigne en personne comme le meurtrier. La reine s'écroule, les invités fuient et les murs du château s'effondrent.

Recalé par le jury du prix Beethoven de Vienne, Mahler ne put faire jouer immédiatement sa première œuvre achevée. Il la révisa à Hambourg en 1893, supprimant la première partie pour la publication, mais dut encore attendre près de dix ans avant de la diriger en public, sans toutefois parvenir à l'imposer. Ce n'est qu'en 1934 que la version complète en trois parties fut enfin créée, à Brno. Le dédain vis-à-vis de cette œuvre est injuste, car Mahler y est déjà tout entier lui-même : orchestrateur prodigieux, narrateur audacieux, créant des atmosphères qu'on retrouvera ensuite dans nombre de ses symphonies, particulièrement celles tirées du Knaben Wunderhorn.

Pour être peu étendue, la discographie de Das klagende Lied est néanmoins riche en qualité, les louanges étant partagées par Bernard Haitink, Giuseppe Sinopoli, Riccardo Chailly et Simon Rattle. La parution critiquée ici est une réédition d'un disque de concert de 1996, très apprécié lui aussi, initialement paru chez RCA. Il nous revient sous la propre étiquette du San Francisco Symphony, qui complète ainsi son intégrale Mahler en cours de conclusion. Ne manquent plus à ce jour que la Symphonie n°8, Das Lied von der Erde et les autres cycles de lieder pour en faire une intégrale tout à fait exhaustive.

Dans des tempi assez lents mais pas traînants, Michael Tilson Thomas dirige la partition avec un beau sens des couleurs et tire le maximum de beautés sonores d'un San Francisco Symphony aux timbres somptueux. La narration est fluide et les voix, chœur comme solistes, sont soigneusement intégrées au splendide tissu orchestral. Le San Francisco Symphony Chorus est irréprochable, tout comme le vétéran Thomas Moser (ténor) et le jeune mezzo Michelle DeYoung. Le soprano Marina Shagusch a une diction allemande assez particulière, mais le timbre est riche et lumineux. Seul déçoit le baryton Sergeï Leiferkus au chant fruste et peu concerné. Superbement présentée, cette réédition du premier opus mahlérien s'imposera d'autant plus facilement au sommet de la discographie que la plupart des références citées plus haut sont actuellement indisponibles.

RL