Chroniques

par laurent bergnach

György Kurtág
pièces pour piano

1 CD Budapest Music Center (2016)
BMC CD 233
Márta et György Kurtág jouent des extraits de Játékok pour piano

« Le bonheur du jeu, le bonheur du mouvement – circuler sans peur et, s’il le faut, avec rapidité sur tout l’espace du clavier, dès le début de l’apprentissage, au lieu de chercher la note avec circonspection, au lieu de compter les rythmes – ce projet d’abord un peu vague aura été à l’origine de ce recueil. » Ainsi György Kurtág, Hongrois né sur un sol roumain (à Lugoj, en 1926), présente-t-il Játékok (Jeux) dans le premier volume de son célèbre corpus pianistique, conçu à l'origine pour les enfants (1973), puis publié par Editio Musica Budapest à partir de 1979.

En 1995, les Éditions Contrechamps consacrent un ouvrage à l’auteur de Kafka-Fragmente [lire notre chronique du 10 octobre 2007], lequel prenait la parole lors d’un colloque italien de mai 1989 (La musica e l’infanzia) pour évoquer un « voyage autobiographique » (études, variantes, citations, etc.) ne faisant que commencer. Kurtág parle de Webern dont il a recopié presque la moitié de l’œuvre, des blocages de sa créativité – évoqués dans le mémorable portrait L’homme allumette [lire notre critique du DVD] –, du souvenir d’un apprentissage ennuyeux qui renaît lorsqu’on lui propose d’écrire pour les débutants. Il imagine alors un « rythme organique » (mouvements rapides, silences stimulant des réponses), une approche « vraiment vivante, de chair et de sang » propre à ne pas décourager un enfant de six ans, telle que l’illustre la pièce inaugurale Talált tárgy (Objet trouvé), fondé sur des glissandos en crescendo et diminuendo. Le compositeur se place ainsi dans une tradition pédagogique vivace, sur les traces de Bartók, Kodály et Jenő Ádám.

Parmi la centaine de pièces qui visent un résultat « très primitif », en alternance ou à quatre mains (cinq, dans le cas présent), Kurtág et son épouse Márta en jouent régulièrement une sélection sur scène [lire nos chroniques du 22 septembre 2012 et du 20 août 2006]. Les trente-neuf fragments ici réunis proviennent en grande partie des archives de la Radio Hongroise (1978-1993), auxquelles s’ajoutent quelques prises réalisées en concert (2001).

Avant même l’écoute, on remarque la brièveté de ce qu’il faut bien nommer fragment : seulement une pièce sur quatre dépasse la minute. Puis, à lire les titres, on réalise le nombre d’hommages à des compositeurs célèbres (Domenico Scarlatti, Verdi, Ligeti), à de moins connus (András Mihály, László Sáry, etc.), de même qu’à des interprètes (György Szoltsányi, Mihály Halmágyi, etc.). Parfois jovial et animé avec tendresse, le climat du programme est plus largement méditatif, comprenant des jalons éthérés ou liquides. À l’inverse, la Suite pour quatre mains qui lui sert d’entracte, achevée en 1951, offre une pétulance débridée.

LB