Chroniques

par laurent bergnach

György Kurtág
Les dits de Péter Bornemisza

1 CD Budapest Music Center (2021)
BMC CD 279
Les dits de Péter Bornemisza, concerto pour soprano et piano de Kurtág

Entre janvier 1963 et août 1968, György Kurtág (né en 1926) compose une de ses premières œuvres d’importance : Les dits de Péter Bornemisza (Bornemisza Péter mondásai). Elle fait référence à Péter Bornemisza (1535-1584), poète et prédicateur réformé qui fut actif dans la diffusion des enseignements luthériens en Hongrie, comme dans le développement d’une langue littéraire nationale. Par exemple, l’érudit offrit à son pays une traduction de l’Électre de Sophocle, que Kurtág imagina porter sur scène avant de renoncer à un si lourd projet – on le sait, le premier opéra du Hongrois ne verrait pas le jour avant le XXIe siècle [lire nos chroniques du 17 novembre 2018 et du 30 avril 2022].

C’est à partir de sermons qu’est conçu l’opus 7 du musicien, sous-titré Concerto pour soprano et piano, lesquels recèlent une évocation de la vie quotidienne de l’époque. Vingt-quatre mouvements courts le structurent, regroupés sous les titres Confession (Vallomás), Péché (Bűn), Mort (Halál) et Printemps (Tavasz). Dédiée à la psychanalyste Lili Perl disparue en 1965, l’œuvre est présentée sans grand succès à Darmstadt, le 5 septembre 1968, par Erika Sziklay et Lóránt Szücs, et sera révisée plusieurs fois. Signataire de la notice du disque, Zoltán Farkas se livre au jeu des références musicale :

« le Concerto Bornemisza n’est rien d’autre que l’application hongroise la plus virtuose, la plus personnelle de la méthode dodécaphonique, et, à cet égard, le premier maître de Kurtág est Webern, avant tout autre. […] Les caractéristiques rythmiques du piano rappellent Stockhausen. Kurtág lui-même mentionne que le premier mouvement de Mort fut directement inspiré par l’Hiroshima de Penderecki. En reliant au présent les paroles profondes du prédicateur du XVIe siècle, Kurtág s’est peut-être souvenu du Psalmus Hungaricus de Kodály, quarante ans plus tôt. La présence de Bartók, typiquement, se fait sentir dans la quatrième section de l'œuvre, dans l'euphonie de la renaissance » (notre traduction).

Réalisé en 2019, cet enregistrement fait suite au concert commémorant le demi-millénaire de la Réforme, le 19 décembre 2017, à l’Académie de Musique. On y admire le pianiste Gábor Csalog, ancien élève de Zoltán Kocsis, d’András Schiff et de Kurtág lui-même, qui fut, en Hongrie, l’interprète exclusif des dernières pièces de Ligeti, et le soprano Tony Arnold. Messagère de la musique de son temps (Messiaen, Crumb, Eckardt, etc.), l’Étasunienne impressionne par l’étendue de sa tessiture, une souplesse invraisemblable, mais encore par l’aisance à combiner lyrisme et expressivité. Peu de chanteuses peuvent ainsi faire entendre, sans l’amener, un contre-mi bémol ! En prélude, György Kurtág nous prépare à une heure musicale de plus en plus méditative avec des phrases de Bornemisza qu’il récite lui-même durant huit bonnes minutes.

LB