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Chroniques
Hélène Cao
Augusta Holmès – La nouvelle Orphée
Habile à relater la vie de femmes et d’hommes ayant voué leur vie à la musique (Bonis, Spohr, Debussy, etc.), Hélène Cao s’intéresse aujourd’hui à Augusta Holmès (1847-1903), une élève de César Franck qui a refusé l’assignation aux petites formes musicales, que subissent ses consœurs, pour rivaliser au concert avec les hommes. En effet, malgré une centaine de mélodies destinées au salon, c’est en maîtresse de l’orchestre qu’elle se distingue avant tout, sans nulle rivale sur le terrain jusqu’à la Première Guerre mondiale. À travers une douzaine de chapitres particulièrement riches de retours en arrière – partant que le septième se clôt sur l’inhumation de la Parisienne –, la musicologue retrace la vie de cette pionnière en s’appuyant sur des textes de presse de l’époque.
Les faits, tout d’abord. À partir de 1864, le nom d’Augusta Holmès apparaît régulièrement dans des journaux, comme concertiste, candidate à des concours et, bien sûr, créatrice à part entière, principalement de poèmes symphoniques dont elle a écrit le texte, comme le fit Wagner – son idole de jeunesse – pour ses opéras [lire notre critique d’Andromède]. C’est grâce à ces parutions que mélomanes et mondains apprennent la naissance des Argonautes (1881), d’Irlande (1882), Pologne (1883), Lutèce (1884), Ludus pro patria (1888), mais également d’œuvres de circonstance tels Ode triomphale en l’honneur du centenaire de 1789, donnée dans le cadre de l’Exposition universelle (1889), et Hymne à la paix en l’honneur de la Béatrice du Dante (1890), une commande florentine. Enfin, des articles annoncent un grand opéra dont le sujet est emprunté à la guerre du Monténégro avec la Turquie : La montagne noire (1895) – malgré treize représentations aux recettes honorables, celui-ci est décrié et les portes des théâtres se ferment.
La presse, c’est aussi la critique, ô combien subjective. En 1868, Oscar Commettant écrit : « je connais dix productions de cette jeune artiste ; ce sont des pièces remarquables par l’originalité de la forme, la chaleur de l’inspiration, le caractère individuel ». D’autres soulignent une connaissance solide de l’harmonie, l’audace des rythmes. Les premiers essais orchestraux sont soutenus par des maîtres bienveillants, tels Joncières et Saint-Saëns, qui aiguillent la novice (« de grâce, une autre fois, un peu moins de trompettes ! »). Mais plus les œuvres d’Holmès gagnent en visibilité, plus certains lui reprochent leur emphase, le tape-à-l’œil d’un Massenet. Ici on pointe une esthétique dépassée (« nous sommes portés à sourire de cette rhétorique de sentimentalités traduites en mascarades ») ; là un nationalisme tapageur (« c’est du patriotisme turbulent, qui sent les concours de gymnastique et les bataillons scolaires »). Évidemment, à tout cela se mêle une part de paternalisme et de misogynie.
Alors, justement : qui est la femme, derrière la compositrice ? Pour la connaître, faisons confiance à Hélène Cao qui avance des certitudes alors qu’une presse peu scrupuleuse écrivit sa légende avec une plume d’un autre âge, lui inventant des ancêtres royaux en Irlande, un père officier en Angleterre, une mère morte quand elle parlait à peine… Mais il est vrai qu’Augusta elle-même cultive les imprécisions sur sa vie privée – notamment pour cacher qu’elle eût cinq enfants du poète Catulle Mendès, hors mariage, entre 1870 et 1881 –, préférant évoquer un travail qui reflète et exalte les goûts de son temps. Ce faisant, elle devient un repère pour beaucoup dont Camille Belilon, chroniqueuse du premier journal français entièrement rédigé par des femmes, pour qui Holmès est « l’avant-garde d’une légion qui va paraître, qui se lève non parce que le génie féminin finit par s’allumer, mais parce que les préjugés s’éteignent enfin » (La Fronde, 12 mai 1898).
LB