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Chroniques
Hanns Eisler
Deutsche Sinfonie Op.50
Ce n'est qu'au printemps 1959 que serait créée, Unter den Linden, alors du côté Est de Berlin, la vaste Deutsches Sinfonie Op.50 de Hanns Eisler. Que : car le compositeur y aura travaillé une douzaine d'années (de 1935 à 1947), décidant en 1958 d'y adjoindre un bref Epilog, ainsi que le dernier mouvement de sa 1ère Suite de 1930 sous la forme d'une Etüde für Orchester qui constitue le troisième épisode de l'œuvre. Vaste : parce que la conception d'une symphonie allemande ne saurait être alors une initiative négligeable, et qu'elle propose, de fait, un parcours mahlérien d'une bonne heure, traversé par les poèmes de Brecht, comme il en allait presque de soi avec la triade Weill, Dessau, Eisler.
Le projet en remonte donc à 1935, comme en témoigne une lettre du musicien au dramaturge, citée dans la notice de Cyril Béros. Il imagine dès lors d'utiliser plusieurs des poèmes de Brecht : Enterrement de l'agitateur dans un cercueil de fer blanc et Aux combattants des camps de concentration, et souhaite d'ailleurs appeler cette œuvre d'expression essentiellement chorale Symphonie des camps de concentration.
C'est par un Prélude qui rappellera les cordes mahlériennes de Chostakovitch que s'ouvrait ce concert capté le 19 septembre 2004, à la Cité de la musique, dans le cadre d'un cycle Le IIIe Reich et la musique, l'orchestre étant bien vite rejoint par le chœur, déposant d'abord timidement Oh Deutschland, bleiche Mutter avant que de scander la suite du texte, laissant dès lors la masse instrumentale exprimer sa puissance. Les artistes du Chœur de Radio France ont été préparés par l'excellent Norbert Balatsch. C'est ensuite Sophie Koch qui enchaîne An die Kämpfer in den Konzentrationslagern, d'une voix à laquelle elle sait donner les accents nécessaires à cette lugubre marche ponctuée de quelques phrases chorales. L'Etüde für Orchester évoquera plus certainement l'univers de Kurt Weill, avec les fifres ricaneurs d'une fanfare finale tristement dérisoire. Le baryton Eike Wilm Schulte entonne ensuite avec clarté Erinnerung (Postdam), Lied également ponctué par le chœur, tel qu'on le rencontre dans Mahler. Dialogué, In Sonnenburg paraîtra ensuite plus théâtral, alors que l'Intermezzo, purement instrumental, nous plongera soudain dans une couleur plus proche de Berg – Eisler fut lui aussi élève de Schönberg, rappelons-le.
On notera le fort beau travail timbrique qu'y ciselait ce soir-là Eliahu Inbal à la tête des musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, menant l'expressivité d'abord contrastée vers une pâte nettement lyrique. Cette facture demeure celle du mouvement suivant, un Begräbnis des Hetzers im Zinksarg martialement introduit par Kurt Rydl dont l'autorité s'oppose à une partie de chœur affirmant un sens du tragique rendu implacable par une exécution sensible. L'épisode suivant est occupé par la Bauernkantate dont le texte fut écrit par Eisler à partir de Pain et vin d'Ignazio Silone. On y goûtera l'efficacité de la proposition de Rydl, dans un climat caractéristique qui n'est guère loin de celui des Sept péchés capitaux. Mais si Eisler s'inscrit bien dans cette esthétique, il ne néglige pas d'user de procédés proches des musiciens de l'École de Vienne, notamment dans la partie récitante, avant que les bois ne fassent naître la Chanson du paysan. Retour à Brecht avec la Arbeiterkantate où Caroline Masur, bien qu'avec un grave parfois éteint, fait merveille. On ne sera certes pas indifférent à l'écoute d'une œuvre militante bien ancrée dans son temps, jusqu'à l'Épilogue précédé d'un passionnant Allegro dépourvu de chanteurs.
BB