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Chroniques
Hans Werner Henze
Der Prinz von Homburg | Le prince de Hombourg
Alors qu’il espère une coalition entre la Prusse et l’Autriche pour vaincre la domination napoléonienne, Heinrich von Kleist (1777-1811) entreprend d’écrire ce qui serait sa dernière pièce avant le suicide : Prinz Friedrich von Homburg oder die Schlacht bei Fehrbellin (Prince Frédéric de Hombourg ou La bataille de Fehrbellin). Inspiré par les mémoires de Frédéric II, ce drame qui célèbre la famille Hohenzollern ne s’est jamais imposé au XIXe siècle, son auteur ayant souffert, de plus, de l’ombre formée par Goethe. « Dans notre siècle livré à la violence et aux chimères, elle trouve enfin son heure », se réjouit Henri Thomas, l’un de ses traducteurs français.
Rappelons-en les grandes lignes. À la veille d’une bataille décisive contre les Suédois, en 1675, on découvre Frédéric de Hombourg, général de cavalerie, en pleine crise de somnambulisme, au fond d’un jardin. Parmi les gens qui l’approchent se trouve sa bien-aimée, Natalie d’Orange, dont il saisit un gant. Lors de son réveil, il ne cesse de se demander d’où provient l’objet, si bien qu’il écoute d’une oreille distraite la stratégie du jour dictée aux officiers réunis, jusqu’à donner l’ordre d’un assaut victorieux mais prématuré. Dès lors Frédéric-Guillaume, Prince Électeur de Brandebourg qu’un moment l’on croit tombé, doit condamner à mort Frédéric, ce qui met au désespoir Natalie, amoureuse, et son ami le Comte Hohenzollern. Frédéric est d'abord confiant dans le pardon accordé, puis saisi par la peur, au point de supplier l’Électrice de le sauver. De son côté, dans un climat de rébellion des officiers, Natalie tente d’émouvoir l’Électeur. Celui-ci promet de libérer le prisonnier s’il reconnaît avoir été traité injustement. Bien sûr, ayant désobéi aux ordres, le militaire ne peut s’y résoudre et rejette avec fierté cette solution. Il se prépare à mourir, mais c’est sans compter sur la grâce définitive du Prince.
Si Kleist a porté les armes de son plein gré durant l’adolescence – moins pour vaincre l’ennemi que la misère –, c’est contraint par le régime nazi qu’Hans Werner Henze (1926-2012) devint soldat, presque au même âge. La guerre finie, étouffé par le climat conservateur de l’Allemagne, il s’installe à Rome en 1953, où s’est réfugié également l’Autrichienne Ingeborg Bachmann. Avec sa librettiste, il trouve dans la pièce de Kleist de quoi mettre en relief les tensions entre existence individuelle et carcan étatique, et ainsi dénoncer tout ce qui empêche l’éclosion d’une société plus libre, solidaire et rêveuse – son adhésion au Parti communiste est loin d’être un caprice !
Les trois actes de Der Prinz von Homburg sont créés à Hambourg le 22 mai 1960, avant d’être révisés en 1991. On les retrouve filmés en mars 2019 à la Staatsoper de Stuttgart, dans une mise en scène de Stephan Kimmig [lire notre chronique de Don Giovanni] qui peine à nous intéresser – l’absence de sous-titre en langue française n’arrangeant rien –, et qui s’oublie avant même qu’on en ait formulé le souhait. En fosse avec l’orchestre maison, Cornelius Meister rend justice à un compositeur qui, loin de Darmstadt, ne cache pas son affection pour Stravinsky.
La distribution vocale s’avère mémorable, notamment Robin Adams (rôle-titre) qui possède de la puissance, de la présence… et un art du changement de costumes comme rarement chez un homme en deux heures de spectacle [lire nos chroniques de The Bassarids, Quartett et Das Schloß Dürande]. On aime aussi les autres ténors, Štefan Margita en Électeur nuancé [lire nos chroniques de La guerre et la paix, Jenůfa à Paris et à Lyon, Le roi Roger, Das Rheingold, enfin De la maison des morts à Aix-en-Provence, Paris et Londres], et Moritz Kallenberg, Hohenzollern éclatant [lire notre chronique de Parsifal], de même que le baryton Michael Ebbecke, sonore Dörfling, sans oublier les basses Friedemann Röhlig, Kottwitz à la projection ferme, et Michael Nagl, Troisième Officier au timbre très rond. Vera-Lotte Boecker (Natalie) et Helene Schneiderman (Électrice) se chargent efficacement des principaux rôles féminins [lire notre chronique de Das verratene Meer pour la première et, quant à la seconde, d’Il Vologeso].
LB