Chroniques

par bertrand bolognesi

Hans Werner Henze
œuvres avec violoncelle

1 CD Berlin Classics (2022)
030278BC
Quatre opus avec violoncelle, du compositeur allemand Hans Werner Henze

Depuis sa disparition à l’automne 2012, Hans Werner Henze est trop peu joué. Sa postérité semble devoir payer la souveraine indépendance d’un compositeur qui mena sa route en s’engageant clairement en politique plutôt qu’en intégrant quelque esthétique alors en vogue. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir volontiers contribué au genre lyrique – Boulevard Solitude (Hanovre, 1952), König Hirsch (Berlin, 1956), Der Prinz von Homburg (Hambourg, 1960) [lire notre critique du DVD], Elegie für junge Liebende (Schwetzinger Festspiele, 1961), Das Ende einer Welt (Francfort, 1965), Der junge Lord (Berlin, 1965), Ein Landarzt (Francfort, 1965), The Bassarids (Salzburger Festspiele, 1966) [lire nos chroniques des productions de Yannis Kokkos, Peter Stein, Krzysztof Warlikowski et Barrie Kosky], Pollicino (Montepulciano, 1981) [lire notre chronique du 20 avril 2005], Die englische Katze (Schwetzinger Festspiele, 1983), Das verratene Meer (Berlin, 1990) [lire notre chronique du 15 décembre 2020], Venus und Adonis (Munich, 1997), L’Upupa und der Triumph der Sohnesliebe (Salzburger Festspiele, 2003) [lire notre critique du DVD], Phaedra (Bruxelles, 2007) et Gisela! (Gladbeck, 2010) – et même au septième art – Muriel (Alain Resnais, 1963), Der junge Törless (Volker Schlöndorff, 1976), Die verlorene Ehre der Katharina Blum (Schlöndorff, 1976), L’Amour à mort (Resnais, 1984), Un amour de Swann(Schlöndorff, 1984), Comrades (Bill Douglas, 1986), etc. –, autant de domaines aptes à propulser un musicien sur le devant de la scène. A-t-on interprété une seule des dix symphonies (1947-2000) d’Henze en France depuis la treizième édition de Présences, le festival de création de Radio France, en 2003 (d’ailleurs âprement critiquée par le quotidien Le Monde qui, péremptoire, décrivait à cette occasion la musique de l’Allemand comme « pas idéalement inspirée » bien qu’attestant « d’un certain savoir-faire » au-dessus duquel l’auteur de l’article semblait se boucher le nez) ?

La maigre actualité henzéenne de ces cinq dernières années [lire nos chroniques de Das Floß der Medusa et de La selva incantata] est heureusement complétée par quelques rares parutions discographiques, comme le présent album, concentré sur la production violoncellistique du compositeur rhénan né en 1926. Hans Werner Henze n’a pas écrit de concerto pour cet instrument face auquel il a observé une certaine réserve, voire exprimé quelque réticence. En se penchant plus attentivement sur le catalogue de son œuvre, si vaste, on constatera cependant que le violoncelle n’est pas absent. Outre trois trios – Kammersonate pour piano, violon et violoncelle (1948), Adagio adagio pour violon, violoncelle et piano (1993) et Trio pour violon, alto et violoncelle (1998) –, on compte la cantate Being Beauteous (d’après Rimbaud) pour soprano colorature, harpe et quatre violoncelles (1963), le quintette Amicizia! pour clarinette, trombone, violoncelle, percussion et piano (1976) et deux pages en solo, la Serenade de 1949 et le Capriccio de 1981, conçu pour Heinrich Schiff (1951-2016) [lire nos chroniques du 31 juillet 2007 et du CD Křenek/Schreker]. Quatre opus à l’effectif plus conséquent occupent cette gravure de belle tenue.

Ainsi la Trauer-Ode für Margaret Geddes, à la mémoire de son amie d’origine irlandaise Margaret Campbell Geddes, grande-duchesse de Hesse, décédé le 26 janvier 1997. Elle réunit six violoncelles dans une déploration construite à partir d’un choral de Bach, Meine Seel erhebt den Herren (Mon âme exalte le Seigneur), au caractère plutôt serein, ici détourné en élégie lyrique assez poignante, que défendent vaillamment Isang Enders, Christoph Heesch, Simon Deffner, Christine Penckwitt, Martin Leo Schmidt et Leonhard Straumer. Ainsi encore d’Introduktion, Thema und Variationen pour violoncelle, harpe et cordes (1192), créé à Salzbourg en 1994 sous la direction de Sandór Végh. La harpe d’Emily Hoile ouvre le champs à une partie orchestrale en saupoudrage parcimonieux qui soutient discrètement une partie pleinement solistique du violoncelle. Le Thema inquiet, joué en solo, est issu du cinquième mouvement des Englische Liebeslieder, une œuvre plus ancienne pour violoncelle et orchestre, à peine amorcée en 1946 et achevée en 1985 pour répondre à une commande d’Heinrich Schiff et du WDR Sinfonieorchester. À la tête de ce même orchestre, Jonathan Stockhammer [lire nos chroniques du 16 novembre 2006, des 22 février et 20 mars 2014, du 31 octobre 2017 et du 9 septembre 2018] accompagne l’idéale fougue de l’excellent Isang Enders [lire nos chroniques des 9 et 10 octobre 2015, ainsi que du 28 octobre 2016] dans ces six Chansons d’amour anglaises formant une suite de romances sans paroles traversée par le souvenir de Mahler (III) ou de Berg (I), ponctuée par un atypique Tango à l’énigmatique crudité (V). Le dernier épisode, Sonett, promène l’écoute dans une narration cachée que dessinent le chant du violoncelle comme le jeu des timbres alentour, jusqu’à la danse, conclue dans un étirement contemplatif.

Le disque est ouvert par l’œuvre la plus ancienne, Ode an den Westwind, composée en 1953 pour violoncelle et orchestre en référence au poème de Percy Bysshe Shelley, Ode to the Westwind, imaginé sur une rive de l’Arno, non loin de Florence, dans les bois, puis écrit dans les jours qui suivirent, en 1819. En 1953, Henze, dont l’opéra Ein Landarzt d’après Kafka vient d’être salué par le Prix Italia, s’est installé en Italie où désormais il résidera durant la majeure partie de son temps. C’est sur l’île d’Ischia, non loin de Naples, puis en Sicile, qu’il achève les cinq mouvements d’Ode an den Westwind, créé par Bernhard Conz au pupitre du Städtisches Orchester Bielefeld, avec Ludwig Hoelscher, le 30 avril 1954 à Bielefeld. Loin de se conformer au diktat de l’avant-garde radical, il ne renonce par au lyrisme de l’instrument choisi pour transmettre la pensée du poète romantique, dans une couleur peut-être héritée de Karl Amadeus Hartmann (V, Grave) et, toujours, de Berg (I, Calmo), voire de Webern (III, Tranquillo). Sa puissante expressivité trouve des interprètes zélés, le violoncelliste allemand d’origine coréenne dialoguant cette fois avec la cheffe Lin Liao [lire notre chronique du 9 juin 2022] et les musiciens du WDR Sinfonieorchester. Un CD passionnant !

BB