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Harry Partch, iconoclaste et novateur
à la recherche d’un compositeur (1901-1974)
Compositeur américain, Harry Partch est un théoricien autodidacte, vivant en marge de la société et ignoré par la majorité des institutions musicales. Né le 24 juin 1901 à Oakland (Californie), fils de missionnaires presbytériens revenus de Chine après la révolte des Boxers, il est élevé dans les petites villes d'Arizona et du Nouveau Mexique, restant rarement plus de trois ans au même endroit. Il y entend la langue et le chant Mandarin (les berceuses de sa mère, entrecoupées d'hymnes chrétiens), l'espagnol ou encore l'indien. Il apprend à jouer sur des instruments achetés par correspondance – clarinette, harmonium, alto, guitare – et pour le piano il compose de façon prolifique dès l'âge de quatorze ans.
des dates
En 1920, Partch s'inscrit à l'école de musique de l'University of Southern California. Il interrompt ses études au bout de deux ans, avec le sentiment de n'avoir rien appris. Il déménage à San Francisco et fréquente les théâtres mandarins. Abandonnant l'idée de travailler avec des professeurs privés, il se forme musicologiquement en autodidacte dans les bibliothèques, et c'est libre de toute restriction académique qu'il compose alors.« Je me fous d'être gai ou triste, je continue de composer. Ça ne fait aucune différence ! J'ai été à Hawaï quand j'avais vingt ans, et tout le monde m'a dit : tu ne feras rien à Hawaï. Eh bien, je n'ai jamais écrit autant de fugues de toute ma vie » (Rolling Stone, 11 avril 1974). Entre 1923 et 1928, il développe une échelle de tempérament ptolémaïque divisant l'octave en quarante-trois commas syntoniques. Durant la Grande Dépression (les années trente), il vagabonde, passe d'un train à l'autre, vit d'emplois précaires ; il est tour à tour cuisinier, cueilleur de fruits, correcteur d'imprimerie, etc. Son carnet de notes gardera une trace musicale de cette expérience, notamment en ce qui concerne les divers accents populaires rencontrés, et ces graffitis d'auto-stoppeurs dont il fera la matière littéraire d’U.S. Highball (1943/1955).
En 1930, il brûle toutes ses compositions antérieures, équivalant à quatorze années de recherche, et commence à écrire de nouvelles œuvres. Invitant à un retour aux sources de la musique (résonance et consonance naturelle, fonctions rituelles et magiques), il s'écarte de tous les modèles existants et puise ses influences chez les sorcières, les Indiens, les Orientaux et les Africains, mais encore dans la Grèce Antique, les rythmes du gamelan et les sables du désert ; dans Boris Godounov (Moussorgski), aussi. Concrète, sa musique multiplie polyrythmies et divisions rationnelles des durées, aux croisements du son, de la poésie et de la danse. Elle devient un « art corporel », une expérience physique : « je le nomme corporel parce qu'il s'enracine dans d'autres arts nécessaires à la civilisation, dans une unité qui est importante pour le vivant dans son ensemble – esprit et corps. Même le fait de voir jouer les instruments est vital ». Dès lors, il invente de nouveaux instruments qu'il construit à l'aide de sapins et séquoias se trouvant près du ranch où il établit son studio de travail et d'enregistrement, à Gualala. Son instrumentarium se divise en trois familles : les cordophones, les idiophones et les aérophones. Injouable sur d'autres instruments que les siens, l'œuvre de Partch a été théorisée dans son livre Genesis of a Music (1943), sur lequel il travaillait depuis 1923. Les morceaux des années 1930 à 1940 donnent lieu à des présentations intimistes de poèmes chinois, de versets bibliques, de scènes et chants de Shakespeare, etc.
Vers 1950-60, le créateur se tourne vers des compositions de grande échelle, théâtrales et dramatiques. Ennemi de la spécialisation, il souhaite que ses interprètes s'impliquent au maximum, quitte à jouer au basketball durant la représentation (The Bewitched) ou à se déshabiller à moitié – « et peu importe quelle moitié ». Le public d’alors l’accueille avec enthousiasme et des élèves de l'université l’encouragent volontiers lors de diverses collaborations avec les institutions académiques Il est également soutenu par la Carnegie Corporation, les fondations Guggenheim et Fromm. Il enseigne dans les universités du Wisconsin et de l'Illinois, mais les départements de musicologie lui sont généralement hostiles. Sa promotion passe par la vente de ses enregistrements (réalisée par souscription) et le soutien de ses amis et partisans. Il crée le Gate 5 Ensemble. Sa vie marginale s'achève le 3 septembre 1974 à San Diego (Californie).
des instruments
« Il est inhérent au processus créatif de savoir et de comprendre les matériaux dont il a besoin et de les créer s’ils n'existent pas, du mieux possible. En musique, cela doit aller plus loin que la simple compétence de composer et d'analyser une partition. Il est plus difficile pour le compositeur de créer les couleurs du son désiré que pour un peintre celles de la lumière, mais il n'est pas moins important qu'il y parvienne. Les usages musicaux sont souvent contre lui. De nos jours, on reconnaît comme tradition ce qui trône sur le plateau confortable de la sécurité académique, mais l'acte créatif rebelle est aussi une tradition. Si notre art musical n'est d'être rien d'autre qu'une ombre de son passé, les traditions en question doivent être régulièrement secouées et stimulées. »
Composant selon une méthode personnelle qui divise les intervalles en quarante-trois spectres harmoniques, Harry Partch se trouve obligé d'imaginer de nouveaux instruments, les traditionnels ne permettant pas de jouer sa musique. Comme Nancarrow qui construisait ses pianos mécaniques, il doit fabriquer ses propres médiums, former une génération d'instrumentistes (par exemple, le percussionniste Danlee Mitchell, ou les étudiants des institutions qui l'invitent, avec lesquels il prépare durant des mois le concert de fin d'année) et inventer un nouveau système de notation. « Je ne suis pas comme John Cage. Tout ce dont il a besoin, c'est d'un gong, d'un presse-carotte et d'une brosse à dents ». De même que Terry Riley ou James Tenney, c'est un partisan du système de l'intonation juste : « j'ai dans l'esprit un bruit que je veux entendre, je construis alors un dispositif pour jouer ce bruit (…) Je se suis pas un constructeur d'instrument, mais un musicien-philosophe conduit à la confection ». Il commence par adapter des guitares (1934) et des altos, avant d'arriver à la réalisation d'une trentaine de nouveaux objets – sans parler des plus petits, portatifs. « Tous ont été construits et reconstruits – l'un d'eux jusqu'à sept fois – pour améliorer leur qualité. Pas deux ne se ressemblent ». Cette tradition de confection d'instruments s'est propagée dans le monde de la musique électronique. À l'instar d'Edgar Varèse ou de Charles Ives, Partch est un pionnier.
Quelques instruments : adapted viola (1928), kithara I (1938-43, perfectionné en 1972), chromelodeon I (1945), harmonic canon I (1945, reconstruit en 1959), adapted guitar I (1945), cone gongs et diamond marimba (1946), chromelodeon II (1946), bass marimba (1949), cloud chamber bowls (1950-51), spoils of war (1950-55), marimba eroica (1951-55), adapted guitar II (1952), harmonic canon II (1953), surrogate kithara (1953), kithara II (1954), bamboo marimba (1955-56), bloboy (1958), zymo-xyl (1963), mazda marimba (1964), eucal blossom (1964), gourd tree (1964), quadrangularis reversum (1965).
des œuvres
« Écouter Harry Partch n'est pas agréable, écrit Salvatore Sciarrino, il vous colle souvent une tristesse inhumaine, intransigeante, comme ce refus qui a soudain dispersé sa vie dans les souterrains nauséabonds. Nous pensons généralement que, pour laisser une trace dans l'histoire de la musique, il faut avoir atteint une grande notoriété. Mais qui sait si l'effet papillon ne vaut pas aussi dans la sphère artistique, autrement dit, si l'influence de présences marginales, transversales, oubliées, n'est pas réellement sous-évaluée, ou du moins supérieure à ce que l'on croit ? »
Quelques œuvres d’Harry Partch, à découvrir dans les quatre volumes que le label étatsunien New World Records a dédiés au compositeur :
1930-33
Seventeen Lyrics by Li Po (texte de Shigeyoshi Obata) pour alto adapté et psalmodie
1931
Two Psalms : The Lord is My Shepherd pour alto adapté et psalmodie (1931) ; By the Rivers of Babylon, original pour alto adapté et voix (1931/41) – version pour kithara et chromelodeon (1955)
1931
The Potion Scene (d'après Romeo and Juliet de Shakespeare), original pour alto adapté et psalmodie – version pour chromelodeon, kithara, bass marimba, marimba eroica et deux voix de femmes (1955)
1941-43
The Wayward (textes d’Harry Partch) : Barstow pour guitare adaptée et psalmodie (1941) – version pour deux voix, surrogate kithara, chromelodeon, diamond marimba et boo (1955) ; San Francisco pour deux barytons, alto adapté, kithara et chromelodeon (1943) ; The Letter pour psalmodie, kithara, harmonic canon, surrogate kithara, diamond marimba, bass marimba (1943) ; U.S. Highball pour voix, guitare adaptée, kithara et chromelodeon (1943), – version pour voix subjective (ténor-baryton), une ou plusieurs voix objectives (baryton), kithara, surrogate kithara, deux harmonic canons, chromelodeon, diamond marimba, boo, spoils of war, cloud chamber bowls, bass marimba et bloboy (1955)
Dark Brother (texte de Thomas Wolfe) pour psalmodie, chromelodeon, alto adapté et kithara
1944
Yankee Doodle Fantasy pour soprano, flûtes d'étain, hautbois d'étain, flex-a-tones et chromelodeon
Two Settings from Joyce's Finnegan's Wake (d’après James Joyce) pour soprano, kithara et deux flûtes
1945
I'm verry happy to be telling you about this… (texte d'après un commentaire du pilote de planeur Warren Ward) pour soprano, baryton, kithara et tambour indien (partition égarée)
1949-50
Eleven Intrusions (textes d’Ella Young, Tsuryuki-Waley, Willard Motley, George Leite, Giuseppe Ungaretti, etc., et Cancion de los Muchachos des Indiens Zuni) pour psalmodie et instruments inventés
Ring Around the Moon (texte d’Harry Partch) pour baryton, deux guitares adaptées, harmonic canon, kithara, chromelodeon, diamond marimba, cloud chamber bowls, bass marimba, marimba eroica, cymbale
1950
Œdipus (d'après la pièce de Sophocle ; livret de William Butler Yeats pour la première version, d’Harry Partch pour la seconde, en 1952-54, puis la troisième en 1967), pour soprano dramatique (Jocasta), basse (Œdipus), baryton-basse (Tiresias/Berger), baryton Martin (Coryphée), chœur de six sopranos et instruments inventés
1952
Castor et Pollux pour kithara, surrogate kithara, harmonic canon, diamond marimba, cloud chamber bowls, bass marimba
Even Wild Horses (d'après Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud) pour baryton, alto adapté, guitare adaptée, kithara, quatre harmonic canons, chromelodeon, diamond marimba, bass marimba, cloud chamber bowls, spoils of war, cloches de temples japonais
1954
Two studies from Lewis Carroll : The Mock Turtle Song pour voix chantée-psalmodiée, surrogate kithara, spoils of war ; O Frabjous Day! (The Jabberwock) pour psalmodie, harmonic canon, bass marimba
1955
Ulysses at the edge pour voix rythmée, saxophone alto (ou trompette), saxophone baryton, diamond marimba, boo, cloud chamber bowls
The Bewitched, satire de danse pour soprano (Sorcière), dix danseurs, instruments inventés et chœur de musiciens
1958
Windsong (musique du film de Madeline Tourtelot) pour kithara, surrogate Kithara, quatre harmonic canons, chromelodeon, diamond marimba, boo, spoils of war, bass marimba, cloud chamber bowls, alto adapté, gourd tree, cone gongs et instruments enregistrés
1960
Revelations in the Courthouse Park (d'après Les Bacchantes, d'Euripide alternant avec une variante moderne écrite par Harry Partch), pour baryton (Dion/Dionysos), baryton Martin (Sonny/Pentheus), soprano (Mom/Agave), contralto (Coryphée), chœur de sept femmes et quatre hommes, trois rôles en parler rythmique (Cadmus, Tiresias, Berger) et divers instruments dont certains enregistrés
1961
Rotate the Body in All its Planes (musique pour un spectacle de gymnastique, sous-titrée Ballad for Gymnasts) pour soprano solo, chœur mixte, divers instruments inventés
Water ! Water ! (musique pour le théâtre, jouée trois fois en 1962, mais considérée comme incomplète par Harry Partch, qui en signa texte) pour jazz-band et instruments inventés
1963-66
And on the Seventh Day Petals fell in Petaluma pour divers instruments inventés
1965-66
Delusion of the Fury, a ritual of dream and delusion (deux actes enchaînés, le premier s'inspirant d'une histoire japonaise du XIe siècle, dans une mode légendaire et sérieux, le second d'un conte folklorique américain, de type farce), pour baryton martin (Tueur/Jeune Vagabond), soprano (Le Fils/Vieille Femme), basse (Fantôme du Héros/Juge de Paix), danseurs, mimes, divers instruments
1967
Daphne of the Dunes (réécriture de Windsong)
1972
The Dreamer that remains, a study in loving (texte d'Harry Partch) pour narrateur, chœur, divers instruments inventés