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Chroniques
Hector Berlioz
Les Troyens
Événement de la saison lyrique parisienne 2003/2004, cette splendide production du Théâtre de Châtelet est immortalisée sur support DVD grâce à Opus Arte et à la BBC. Immortalisée est un bien grand mot, Les Troyens ayant du mal à se contenter des limites du petit écran. Il s'agit donc avant tout du témoignage indispensable de soirées mémorables qu'il ne saurait résumer.
Convaincu depuis toujours que le beau permet l'intuition de l'intelligible, Yannis Kokkos signait là une mise en scène relativement classique dont s'avérait salutaire la sobriété, étant donnée la durée du spectacle. Une grande unité esthétique y offre un écrin discret à une direction d'acteurs bien menée. L'escalier des deux premiers actes, dont l'ascension est vertigineusement inversée par un immense miroir, rappellera un effet cher à l'artiste sans qu'il paraisse un tic. On suit l'histoire grecque avec fébrilité, ce qui est un tour de force, le public d'aujourd'hui n'ayant guère la patience ou le laisser-aller d'accepter de décrocher. Les Troyens de Berlioz fascine, tout simplement. On est loin des lourdeurs de la production salzbourgeoise disponible [lire notre critique du DVD] !... Carthage est ensuite plus paisible, avec un judicieux traitement minimaliste des scènes de ballet. Le dernier acte précipite la tragédie.
Malheureusement, le plateau vocal manque d'unité, partant qu'une restitution filmique est souvent flatteuse pour les voix, ne rendant pas compte de l'espace acoustique réel. Parce qu'il nous paraît inutile d'énumérer la prestation de chacun, signalons brièvement les insuffisances de Stéphanie d'Oustrac qui donne un Ascagne cependant dramatiquement bien vu, de l'Énée de Gregory Kunde, par ailleurs élégant mais vraiment trop confidentiel, de Renata Pokupic proposant une Anna insipide, et surtout de Laurent Naouri dont le Narbal et le Grand Prêtre du final souffrent des mêmes soucis de justesse. En revanche, il y a d'excellentes choses : à commencer par la Didon majestueuse et généreusement vocale de Susan Graham, le passionnant Chorèbe de Ludovic Tézier – peut-être le chanteur qui réalise le plus avantageusement les exigences de style de l'ouvrage –, le somptueux Panthée de Nicolas Testé et, surtout, Anna Caterina Antonacci qui donne une Cassandre absolument bouleversante, expressive, habitée, au bord de la folie, à l'aide d'une voix au timbre attachant et charismatique qui se joue de tous les obstacles de la partition.
En fosse, John Eliot Gardiner mêle savamment Gluck et Rameau au service d'un Berlioz qui sonne alors moins romantique que d'habitude. Colorant son interprétation d'une grande puissance évocatrice, il lui arrive toutefois de malencontreusement couvrir les voix – pour contredire ceux qui pensèrent que l'emploi d'instruments anciens pût être un atout à ce propos ; au contraire : les vents de cet Orchestre Révolutionnaire et Romantique envahissent dangereusement le plateau. Enfin, la star du spectacle : le Monteverdi Choir qui conjugue ses efforts à ceux du Chœur du Théâtre du Châtelet, formant une population chantante exceptionnelle qu'on félicitera sans réserve. Filmé très sobrement, voilà un objet précieux que tout amateur d'opéra consultera avec bonheur, malgré les quelques soucis évoqués.
BB