Chroniques

par bertrand bolognesi

Hector Berlioz
Messe solennelle H20

1 CD Alpha (2019)
564
Hervé Niquet joue la Messe solennelle H20 (1825) d'Hector Berlioz

Longtemps crue à jamais perdue, la Messe solennelle conçue par Berlioz durant l’automne 1824, afin d’honorer une commande du maître de chapelle de l’église Saint Roch (Paris) pour le jour des Saints Innocents (28 décembre), fut retrouvée en 1991 dans la tribune d’orgue de la Carolus Borromeuskerk d’Anvers. Il s’agissait du manuscrit offert par le compositeur à son ami Antoine Bessems (1806-1868), violoniste belge dont la carrière se fit en partie à Paris – après la classe du conservatoire où il étudie auprès de Baillot, Bessems travaille au Théâtre Italien et joue dans de nombreux salons ; Saint-Saëns lui dédiera sa sonate de jeunesse (1842) avant de destiner au Liégeois Marsick, quarante ans plus tard, celle de la maturité (Sonate en ré mineur Op.75 n°1, 1884) à laquelle il semble que Proust a songé en inventant la de Vinteuil où se scelle la passion de Swann pour Odette, « une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre » (Un amour de Swann).

Après quelques aléas cuisants qui ajournèrent la création prévue en 1824, cette œuvre audacieuse d’un compositeur de vingt-et-un ans, élève de Lesueur pour quelques cours privés, bénéficie de l’aide quasi miraculeuse d’un mécène. Elle voit donc le jour le lundi 10 juillet 1825, sous la battue d’Henri Valentino, personnage faisant alors autorité la salle Favart et créateur de nombreuses ouvrages lyrique à l’Opéra de Paris (Olympie de Spontini, Moïse et Pharaon de Rossini, entre autres). La Messe solennelle connait le succès, tant auprès du public que de la critique, si bien qu’on l’a rejoue deux ans plus tard en l’église Saint Eustache, sous la direction de Berlioz lui-même. Si l’on y sent encore les héritages de Lesueur et de Cherubini, nous assure Bruno Messina (notice du CD) à la suite de Pierre-René Serna (in Berlioz de B à Z, Éditions Van de Velde, 2006), « la complexe architecture du Credo, le souffle du Resurrexit et l’esprit de l’Élévation O salutaris sont incontestablement berlioziens ».

Associé une nouvelle fois aux productions du Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française, à Venise) [lire nos chroniques de Dimitri, Herculanum, Sémiramis, La reine de Chypre et Le tribut de Zamora, ainsi que nos recensions des albums Dukas et Gounod], Hervé Niquet livre une lecture haute en couleur de cet opus peu connu. Dès l’Introduction exclusivement instrumentale, l’on goûte la ciselure précieuse de son approche où chaque détail point avec bonheur, rehaussée par les teintes savoureuses du Concert Spirituel où la tendresse toute pastorale des flûtes le dispute au souffre flamboyant des cuivres. On reconnaît dans la fugue du Kyrie un moment de la Grande Messe des morts de 1837 – d’autres traits seront également exploités dans divers opus (Symphonie fantastique, Benvenuto Cellini, etc.). Une délicate clarté domine ce Kyrie où l’inflexion de verset centrale se distingue par un contraste appuyé. De même, après ce calme début, le déchaînement choral à la conclure vient-il surprendre et enthousiasmer. L’introït orchestral du Gloria ouvre sur un Gloria, qu’on pourrait dire espiègle, où brille chaque pupitre du chœur. Quelle élégance prélude au Gratias ! On sait dès lors que cet enregistrement réalisé en la Chapelle royale du Château de Versailles s’élève à très haut niveau, ce que confirme le fluide postlude de cette séquence.

À la tonique fugue du bondissant Quoniam, achevée sur un curieux surplace qui donne à penser qu’il manquait encore à Berlioz cette science qui sera sienne plus tard, succède un fier Credo bien servi par la basse Andreas Wolf, vaillamment soutenu par le collectif vocal pour Deum de Deo, dramatique. Surgit alors le soprano d’Anna Gonzalez pour un Incarnatus suspendu dans les airs par une instrumentation subtile. La ligne du soprano croise bientôt un contrepoint de basse. Après un bref et tragique Crucifixus, fort dépouillé, Resurrexit affiche une théâtralité grandiloquente que ne démentent pas les salves altières où s’inscrit un bref trait de basse, avant l’envolée chorale, triomphale. La noblesse du Motet pour l’Offertoire ne déroge pas à la solennité revendiquée par le titre, à laquelle la basse donne tout son éclat. Le chœur musclé d’un Sanctus optimiste est suivi d’un O salutaris au charme idéalement séraphique. Dolent, Agnus Dei est un lamento inspiré où s’exprime le ténor, dans un air qui semble venir de l’ère baroque. Le chant souple de Julien Behr, qui n’était pas encore intervenu, s’y montre à son avantage, rendant désormais certaine une Anaclase! pour cette gravure remarquable en tous points, ce que ne dément pas le ferme Domine salvum final.

Indispensable !

BB