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Chroniques
Hector Berlioz
L’enfance du Christ (adaptation)
Œuvre pour orchestre de chambre, L'Enfance du Christ fut écrite par Hector Berlioz entre 1850 et 1854, et l’une des rares à avoir rencontré la faveur du public. Jean-Pierre Arnaud a transcrit et adapté cette trilogie sacrée en trois actes et sept tableaux pour l'Ensemble Carpe Diem dont il est le hautboïste. On est donc plus proche que jamais de l'oratorio puisque l'effectif original s'allège – sept solistes, petit quintette à cordes, nombreux cuivres, etc. –, que des personnages disparaissent (Polydorius, dispensable) et que des interventions se condensent (le chœur des Anges, réduit à deux Alléluia timides, presque enfantins). Certains s'interrogeront sur le bien fondé de l'expérience ; ne connaissant pas l'œuvre de référence, nous n’entrerons pas dans des discussions de spécialistes et préférons livrer ici nos impressions de Candide...
Un récitant raconte l'enfance de Jésus-Christ, faisant le lien entre différents airs de personnages qui animent son récit. Christian Fromont, s'il appuie trop la déclamation dans le Prologue, gagne en sobriété lorsqu'il donne la réplique à certains personnages, dont Hérodote. Celui-ci est un homme attaché au pouvoir mais qui nous surprend et peut nous émouvoir par son abattement et sa faiblesse (à mon sein ravagé / donne la paix d'une heure) et dont un bref passage musical, lors de la proposition des Devins d'une mise à mort des nouveaux nés, marque l'hésitation à se décider et nous le rend moins caricatural. Ce n'est plus seulement un monstre mais un homme qui souffre, et son air tient – dans l'esprit – du lied.
Tandis que le massacre s'organise, nous retrouvons Marie et Joseph dans l'étable de Bethléem. La partition propose alors un mélange équilibré entre chant religieux et chanson pastorale, en profonde adéquation avec le sujet. Nous qui avons plus l'habitude de l'intimité mère-enfant (Wozzeck, etc.), cette sorte de berceuse du couple met de la distance entre eux et leur fils, faisant ainsi ressortir son caractère particulier et divin. Après un Hérode perturbé, le baryton Lionel Peintre incarne un Joseph paisible et inspiré. La Marie de Françoise Masset est plus lisse, moins émouvante.
Lorsque les bergers viennent saluer le départ de la Sainte Famille, quelque chose de moyenâgeux, digne du fabliau, se fait entendre, lié à une musique légère mais implacable qui rend la fuite d’Égypte irrévocable. Après le calme et le repos, puis la souffrance sous le soleil de la route, c'est l'arrivée dans la ville de Saïs, dont Berlioz souligne la sourde frénésie. Cette dernière partie apparaît moins intéressante, thématiquement parlant. L'accueil des fugitifs par un bon père de famille donneur de leçons agace plus qu'il convainc car il fait passer Joseph pour un incapable, dépassé par les bêtises de son enfant (les premiers miracles, un peu vain, du gamin...). Quant au récitant, il termine l'histoire sur une morale édifiante, invitation à tous les renoncements : « briser son orgueil ». Un peu comme dans le livret des Troyens [lire notre critique du DVD], on a l'impression de concessions de l'artiste à l'idéologie bourgeoise de l'époque ; il parvient cependant à glisser dans un chœur, mine de rien, une phrase assassine mettant en balance idolâtrie et « pauvreté du pâtre ».
Malgré tout, on est musicalement séduit par ce final, car les deux dernières phrases du récitant sont exceptionnellement chantées par lui, annonçant le chœur a cappella des musiciens de l'Ensemble, qui posent leurs instruments et viennent clore de leurs voix non travaillées ce qui devient communion entre interprètes et auditeur. On a pu remarquer le talent de Carpe Diem notamment sur deux passages : le trio des Jeunes Ismaélites (pour flûte, hautbois et harpe) – sous forme de sonate aux mouvements lents encadrant une danse quasiment folklorique – et le passage des évolutions cabalistiques que des cordes tendues et des vents narquois rendent tout à la fois inquiétant et ironique.
LB