Chroniques

par laurent bergnach

Hector Berlioz
Roméo et Juliette – Ouverture du Carnaval romain – Harold en Italie (transcriptions)

1 CD Ambroisie (2004)
AMB 9950
Hector Berlioz | Roméo et Juliette – etc. (transcriptions)

Comme Enée, le héros de son opéra le plus grandiose, Hector Berlioz a toujours eu rendez-vous avec l'Italie. Sa première rencontre aura lieu à près de trente ans, grâce à l'obtention du prix de Rome et à son installation à la Villa Médicis, de janvier 1831 à mai 1832. Mais comme pour Debussy plus tard, ce séjour prendra des airs de cage dorée, expliquant par là une maigre production musicale. C'est après son retour à Paris que les œuvres inspirées jailliront : Harold en Italie, pour alto et orchestre (1834), l'opéra Benvenuto Cellini (composé de 1834 à 1838) et Roméo et Juliette, symphonie dramatique pour soli et chœur (1839).

Berlioz a résumé clairement cette période de sa vie : « Je cédais à mon penchant pour les explorations aventureuses et me sauvais aux Abruzzes quand l'ennui de Rome me desséchait le sang... Replongé maintenant dans la tourmente parisienne, avec quelle force et quelle fidélité je me rappelle ce pays sauvage des Abruzzes où j'ai tant erré ». S'il détestait les manifestations populaires, vulgaires et bruyantes, qui empêchent le recueillement amoureux ou religieux, remarquons que ce mauvais souvenir romain revient régulièrement chez Berlioz, comme s'il y avait quand même à puiser, avec le recul, dans cette explosion d'énergie. Rares sont les ouvertures françaises aussi tonitruantes que ce Carnaval romain !

Si on associe généralement le drame véronais à William Shakespeare (1595), c'est au poète Byron – autre amoureux de l'Italie – que l'on doit les chants successifs du Chevalier Harold (parues de 1812 à 1818). Byron y peint un personnage littéraire d'un type nouveau : celui du jeune aristocrate sevré d'affection et d'amour, blasé de plaisirs, qui promène de par le monde une mélancolique lassitude et le regret de fautes passées mystérieuses. Ce long récit de voyage, semé d'effusions lyriques et de confessions non dénuées de pose, offrait à une génération déçue par la Révolution et écrasée par les guerres napoléoniennes l'écho du mal du siècle. On voit souvent dans la partition de Berlioz, apaisée sinon bucolique, une antithèse de sa ténébreuse Symphonie fantastique, écrite en 1830.

Il y quelques mois, l'Ensemble Carpe Diem proposait une version transcrite de L'Enfance du Christ [lire notre critique du CD]. Nous retrouvons les dix musiciens qui animent ce spectre d'orchestre et, grâce aux transcriptions de Jean-Pierre Arnaud, livrent une ossature charnue de ces œuvres. On se rend mieux compte du travail de Berlioz sur l'orchestre, sa volonté de dépasser l'héritage de Beethoven (malgré les thèmes romantiques abordés : l'amour contrarié et la marche initiatique) pour parvenir à un classicisme idéalisé. Le violon poignant de Catherine Montier nous saisit sans pathos dès l'entrée de Roméo. Il mènera la danse des cordes qui sont si importantes dans l'œuvre du musicien français, alternant gravité et suavité. Signalons également la harpe d’Adeline de Preissac et la percussion de Nicolas Martynciow qui révèle la construction polyphonique d'un relief souverain. La remarquable prise de son a été réalisée lors d'un concert public le 28 août 2003 en l'Église de la Côte Saint-André, ville natale du compositeur.

LB