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Chroniques
Heitor Villa-Lobos
œuvres pour piano (intégrale vol.3)
Sensible à la préservation du patrimoine culturel de son pays – comme Bartók, Kodály ou Stravinsky avant lui –, Heitor Villa-Lobos (1887-1959) s'improvise ethnographe. En 1905, il entreprend une série de voyages à travers le Brésil. Le matériau qu'il en retient pour son œuvre va de la citation pure à l'invention de thèmes nouveaux d'inspiration populaire. Il veille cependant à ne donner prise ni au nationalisme politique, ni à l'exotisme bon marché. « Ce que j'écris, précise-t-il, est la conséquence directe de mes études, de la synthèse que j'ai atteinte afin d'exprimer la nature particulière de la culture brésilienne. » La majorité de ses œuvres pour piano sont des pièces de caractère, révélant une variété étonnante de procédés formels.
Entre 1917 et 1918, Villa-Lobos compose la Suite Florale sous l'influence de l'impressionnisme français. On retrouve Debussy et Fauré dans les harmonies du premier morceau (Idylle dans un hamac), pour évoluer vers une musique typiquement brésilienne (Allégresse dans le jardin, le troisième morceau). La pianiste Sonia Rubinsky a choisi une sonorité finement colorée pour cet Idilio na Rede qu'elle donne dans une suave articulation, poursuivant dans un halo de pédales Uma Camponeza Cantadeira qui paraîtra debussyste, et l'Alegria na Horta avec beaucoup de caractère : c'est rythmique, précis, avec cependant un rubato un rien trop lourd.
Composé en 1936, le Circlo Brasileiro porte quant à lui l'empreinte du romantisme du Villa-Lobos de ces années-là. Plantio do Caboclo, le premier morceau, est un hymne, joué ici avec une belle égalité, savamment maintenue tout du long, avec un mouvement perpétuel qui évoquera Rachmaninov ; la pianiste nous en donne une interprétation sensible. La deuxième pièce, Impressões seresteiras, est une valse, malmenée sensuellement par une déroutante mobilité de tempo, beaucoup de contrastes, dans un ton globalement sucré. La suivante, Festa no Sertão, une danse presque tribale écrite comme une toccata soumise aux battements de percussions, pourrait être plus brillante ; en revanche, sa partie centrale montre une souplesse dans le jeu magnifiquement tendre. Sonia Rubinsky offre une belle vélocité à la Dansa do Indio Branco qui termine le cycle : outre une précision irréprochable, elle propose un vrai travail de climat, très mystérieux.
Brinquedo de Roda date de 1912. Chacun des six morceaux qui composent ce cycle s'appuie sur une ronde brésilienne traditionnelle, ce qui explique leur brièveté. Consciente de la facture plus simple de ces compositions, la pianiste nous en donne une interprétation gentille, souvent souriante et tendre, comme dans la charmante ritournelle d’A moda da carranquinha. Plus élaborées, les Danças Caracteristicas Africanas furent créées sept ans après leur composition, en 1922. Ces danses s'inspirent de thèmes des Indiens Caripuna du Mato Grosso. Malgré l'influence africaine de la musique brésilienne, malgré le titre de l'œuvre, c'est ici encore l'impressionnisme qui domine la partition, ce que Sonia Rubinsky nous fait parfaitement entendre. Sa Kankikis est plus franchement sauvage, et laisse entrevoir tout ce que Darius Milhaud doit à cette musique.
Si Tristorosa (1910) est une valse brésilienne typique, les Chôros nous rappellent quelle peut être l'inventivité de Villa-Lobos. Composés pour divers ensembles d'instruments (guitare solo, flûte et clarinette, etc.) dans les années vingt, voici trois des quatorze Chôros, transcrits ou écrits directement pour le piano. Le sentimentalisme délicat de Tristorosa et de l'Alma Brasileira trouve un médium idéal dans les doigts de la pianiste.
HK