Chroniques

par hervé könig

Heitor Villa-Lobos
Bachianas brasileiras

1 coffret 3 CD Naxos (2005)
8.557460-62
Heitor Villa-Lobos | Bachianas brasileiras

Si l'on veut voir en Heitor Villa-Lobos un ambassadeur de son pays, il suffit de se tourner vers les Bachianas brasileiras pour s'en convaincre. Le compositeur (1887-1959) travaille sur ce cycle – de la musique de chambre au grand orchestre – entre 1930 et 1944, réalisant neuf pièces où se lient idiomes nationaux et techniques harmoniques et contrapuntiques héritées de l'époque baroque. Depuis l'adolescence, Villa-Lobos est fasciné par la musique de Bach et par les analogies qu'il y trouve avec la musique traditionnelle du Brésil. Les noms de Fuga ou de Toccata servent ici de fil rouge, ainsi que d'autres hommages au génie thuringeois. Ainsi Bachianas brasileiras n°1, pour orchestre de violoncelles, privilégie-t-il l'instrument préféré du Brésilien tout en renvoyant l'auditeur aux célèbres Suites pour violoncelle. Cette intégrale entreprise il y a deux ans par Kenneth Schermerhorn à la tête de son Nashville Symphony Orchestra ne put être menée à son terme, le chef nous ayant quittés au printemps dernier ; aussi est-ce à Andrew Mogrelia que revient la lourde responsabilité d'en ouvrir le feu par une interprétation plutôt terne de la Bachianas n°1, pour ne pas dire scolaire.

Comme la précédente pièce riche en emprunts à la chanson folklorique ou d'amour, Bachianas brasileiras n°2 date de 1930 et comporte des impressions typiques recueillies durant les voyages effectués au début du siècle. Dans les quatrième et dernier mouvements, on entend d'ailleurs la locomotive à vapeur qui avance à un rythme régulier dans l'arrière-pays du Nord-Est. En dépit de la petitesse de l'orchestre, la texture est d'une grande richesse. Et là, on retrouve la verve toute personnelle de Schermerhorn, autrement passionnante ! Achevé en 1938, Bachianas brasileiras n°3 semble une sinfonia concertante, avec son piano qui hésite entre brillance romantique et continuo baroque. Après une aria d'une poignante limpidité, à la conclusion pétrie de regrets, l'appel d'un pic-vert apporte une touche inimitable à une conclusion explosive. On saluera l'approche du pianiste José Feghali et le nerf excitant et sensible du chef américain.

D'abord composée en 1939 pour piano seul, puis orchestrée deux ans plus tard, la Bachianas brasileiras n°4 reprend un format de suite classique où se succèdent des ambiances élégiaques ou plaintives avant un final plus animé, aux harmonies sonores et profondes, comme l'orgue vibrant d'une cathédrale. Certes, les contrastes et les couleurs parfois rutilantes des pupitres du Nashville Symphony Orchestra savent s'y mettre en valeur, mais il n'est pas certain que cet étalage serve l'œuvre. On regrettera, entre autre, la lourdeur des percussions et une volonté d'éclat qui ne fait qu'annuler tout espoir de véritable mise en relief.

La célébrissime Bachianas brasileiras n°5 pour soprano et huit violoncelles (1938-1945), sans conteste le plus connu des travaux de Villa-Lobos, demeure à tout jamais liée à Victoria de Los Angeles qui en signait un enregistrement inoubliable. Dans Aria (Cantilena), après l'ouverture pizzicato aux accents de guitare, la soliste entame une mélodie insinuante reprise à l'unisson par les cordes. La section centrale, dramatique, repose sur un poème de Ruth Valadares Corréa. Puis la vocalise reprend. Dança (Martelo), proche de la poésie improvisée typique du Nord-Est, invite la chanteuse à des imitations de différentes espèces d'oiseaux. Rosanna Lamosa honore cette page d'un timbre corsé aux profondes harmoniques graves, tandis que l'articulation de Schermerhorn n'omet pas un détail. Il ne manque qu'un certain spleen particulier à l'Amérique latine… Plus surprenante s'avère la Bachianas brasileiras n°6 (1938), conçue pour flûte et basson, inhabituelle par son instrumentarium et par son bref format. À l'influence du contrepoint de Bach s'y ajoute la touche contemporaine d'une prudente dissonance harmonique. Aria (Choro) est un écho aux musiciens de rue entendus au tournant du siècle. La précision de l'interprétation inspirée d’Erik Gratton à la flûte et de Cynthia Estill au basson est notable.

Dédiée à Gustavo Capanema, alors Ministre de l'Education, la Bachianas brasileiras n°7 (1942) propose une synthèse entre les influences de Bach et celles du Brésil, exacerbant leur équivalence en un temps de conflit mondial. Giga (Quadrilla Caipira) est la séduisante imitation d'une gigue européenne rencontrant un quadrille alors populaire dans tout le pays. L'entêtante Toccata roborative distribue des couleurs inattendues. Quant à la Fuga introduite par le violoncelle, elle se révèle tant gracieuse que recueillie. Incontestablement, c'est dans cette Bachianas que Schermerhorn donne la mesure de son talent, par une approche d'une sensibilité et d'une cohérence remarquables. Prolongement de cette savante synthèse, Bachianas brasileiras n°8 (1944) rappelle les Concertos Brandebourgeois tout et inspirant sa Toccata (Catira batida) d'une danse fiévreuse du Sud. De même le chef sait-il ici concerner notre écoute dès les premiers pas du Preludio inquiet, la tenant en haleine jusqu'au lyrisme de la Fuga finale. Enfin, composée à New York en 1945, la Bachianas brasileiras n°9 résume à plus d'un titre le parcours de ses huit aînées. D'abord pensée pour un chœur a cappella, l'œuvre se rappelle de cette idée initiale dans le traitement de l'orchestre à cordes. On pourra conclure que ce coffret se propose comme un objet de découverte à petit prix à quiconque désirerait une lecture exhaustive des Bachianas brasileiras d’Heitor Villa-Lobos, partant qu'il ne saurait remplacer le coffret EMI « Villa-Lobos par lui-même » regroupant les n°1, n°2, n°4, n°5, n°8 et n°9 au 5ème Concerto pour piano, à la 4ème Symphonie, au 11ème Choro et à Descobrimento do Brasil.

HK