Chroniques

par hervé könig

Heitor Villa-Lobos
Erosão, Sorimao u Ipirungaua – Alvorada na floresta tropical – Danses africaines – Bachianas brasileiras n°4

1 CD First Edition (2006)
FECD-0016
Heitor Villa-Lobos | œuvres pour orchestre

Créé en 1948, The Louisville Orchestra (Kentucky, USA) a le mérite d'avoir passé – jusqu'à cinq par an – plus d'une commande aux compositeurs de son temps. Rien que pour 1949 et 1950, citons les collaborations avec Virgil Thomson, Paul Hindemith, William Schuman, Roy Harris, Bohuslav Martinů, Darius Milhaud, Carlos Chavez et Heitor Villa-Lobos qui nous intéresse ici. Comme c'est le cas pour certaines œuvres de ce disque (enregistrées respectivement en 1952, 1954, 1969, 1977), la formation est donc à l'origine de beaucoup de créations mondiales, souvent sous la baguette même du compositeur. Le label associé à cet ensemble, First Edition Records, en garde la trace dans un catalogue de plusieurs centaines de performances.

Aussi rencontrerons-nous sur ce CD quatre partitions très différentes de Villa-Lobos, dans un parcours qui s'achève par la Bachianas brasileiras n°4 orchestrée en 1939, l'une des neuf parties du vaste projet entrepris le compositeur brésilien à son retour de Paris, en 1930. Il s'y souvient de ses jeunes années, d'un temps où il parcourut son pays pour en révéler les trésors culturels. Créée sous sa direction par l'Orquestra de Teatro Municipal à Rio de Janeiro, en 1942, c'est une gravure de mai 1977 que l'on pourra entendre ici, sous la battue de Jorge Mester, une version nettement plus intéressante que celle chroniquée sur ces pages, il y a peu [lire notre critique du CD]. On appréciera l'étirement du Preludio, dans une sonorité un rien précarisée nourrie d'une dynamique discrète dont la retenue préserve des secrets, laissant désirer une émotion qui semble se refuser, ce qui la densifie d'autant. Le geste des cordes graves s'étale alors jusqu'à l'inertie, renforçant à peine théâtralement le crescendo. Raffinée s'avère également l'interprétation du Coral, tandis qu'après une introduction dramatique, l'Aria impose le chant de la clarinette, bientôt repris par les cordes, dans le climat recueilli d'une sorte de désolation que souligne la cruelle régularité du chromatisme des cordes. Enfin, la pièce conclut par une Dansa clairement articulée à l'enthousiasme contenu.

Les Danses Africaines (1929) sont beaucoup moins passionnantes. Certes, Villa-Lobos y fait la part belle aux instruments locaux, en particulier les percussions, comme les caxambu, recoreco ou xucalho, mais il n'empêche qu'au delà de l'intérêt exotique, l'œuvre manque de profondeur. De fait, sur cette prise de 1969, Mester n'en offre pas une lecture convaincante, avec des vents qui déçoivent dans la 1ère et un final tonitruant dans la 3ème.

Créé à l'automne 1954, Alvorada Na Floresta Tropical (L'aube sur la forêt tropicale, 1953) est écrit selon le même principe que les ouvertures de Beethoven, mais avec un matériau thématique, issu du souvenir de modes particuliers usités par certaines ethnies indiennes du Brésil, plus restreint et peu développé. Villa-Lobos en fit ce commentaire : « L'Aurore, dans n'importe qu'elle forêt du Brésil, est pour moi une ouverture de couleurs accompagnée par le chant, le gazouillement magique des oiseaux tropicaux, et aussi par les rugissements, les hurlements, les évocations ainsi que les danses exotiques et barbares des Indigènes ». Cette gravure, dirigée par Robert Whitney, brille par la suavité de ses cordes à laquelle s'enlace un saxophone enjôleur, ce beau mariage s'ouvrant et se refermant par un frémissement tonique.

Enfin, Erosão, Sorimao u Ipirungaua (Érosion, l'origine du fleuve Amazone), écrit en 1950, est la pièce maîtresse de ce disque. En exergue, la partition fait figurer une légende : il y a fort longtemps, le soleil souhaita épouser sa fiancée la Lune ; mais une telle chose aurait provoqué la destruction de la Terre, le Soleil brûlant tout de son amour ravageur, et la Lune inondant tout de ses larmes. Mais la Lune n'aurait-elle pas éteint le feu, et le feu n'aurait-il évaporé l'eau ? Ils se séparèrent. La Lune pleura tout au long du jour et de la nuit. Ses larmes s'écoulèrent sur Terre, jusqu'à atteindre les océans. La mer devint tempétueuse, de sorte que les larmes ne se mêlèrent plus à son eau. Durant une moitié de l'année, elles montent, puis descendent durant l'autre moitié : c'est ainsi que naquit le fleuve Amazone et ses saisons. Villa-Lobos sait ici fait surgir une richesse rythmique stimulante d'un sourd magma de mystère, tout en menant l'œuvre vers une expression des plus lyriques. L'interprétation de Whitney, immortalisée en 1952, ne s'égare pas dans les nombreux contrastes, offrant un maintien plus subtil du propos d'ensemble.

HK