Chroniques

par anne bluet

Henri Vieuxtemps
pièces pour violon

1 CD Stradivarius (2015)
STR 37015
Le violoniste Francesco Parrino joue Henri Vieuxtemps (1820-1881)

Fleuron de l’école franco-belge du violon, le virtuose Henri Vieuxtemps, qui serait plus tard le maître d’Eugène Ysaÿe, fit involontairement de l’ombre au compositeur, comme c’est souvent le cas. Il naquit en 1820 à Verviers, comme de nombreux musiciens des générations suivantes, qu’ils s’appellent Mathieu Crickboom (1871-1947) ou Édouard Deru (1875-1928) pour les violonistes, Nicolas Laouleux (1863-1945), Guillaume Lekeu (1870-1894), Albert Dupuis (1877-1967) et même David Reyes (né en 1981) quant aux compositeurs. Son père est lainier de son état, comme beaucoup de gens dans la province liégeoise au début du XIXe siècle, mais joue aussi un peu le violon. C’est lui qui décèle le talent de l’enfant qui suit bientôt les leçons de Lecloux-Dejonc, jusqu’à jouer en public avec grand succès dès l’âge de sept ans. En 1929, le petit devient le protégé d’un ex-enfant prodige, lui aussi violoniste et belge : Charles de Bériot (1802-1870).

Très rapidement, Henri Vieuxtemps se produit à Bruxelles, à Amsterdam, à Paris, salué partout par la critique, François Fétis en tête ! Avec l’adolescence, le petit génie se met à écrire de la musique. Ses ainés l’y encouragent vivement, de Simon Sechter à Antonín Rejcha, dont il serait l’un des derniers élèves, en passant par Ludwig Spohr et bien d’autres. Aujourd’hui, l’on accorde peu de crédit à son œuvre, alors même qu’elle est un apport indéniable non seulement à l’histoire de la musique pour violon mais dans l’évolution des styles romantiques, dotée qu’elle est d’une personnalité indéniable qui regarde vers le passé pour se propulser plus loin en avant. Et si, toutefois, le mélomane du XXIe siècle connaît un peu les sept concerti conçus entre 1838 et 1880, il reste ignorant des nombreuses pièces de concert en solo dédiées à son instrument.

En première mondiale, Francesco Parrino explore ce corpus au disque, et c’est tout un charme qu’il nous fait découvrir ! Les réminiscences de Bach traversent l’insistance tragique de la grave Étude en sol mineur Op.48 n°28 et les Six morceaux Op.55 de 1876, de l’heureux Andante en ut majeur n°1 à la sérénité souveraine de l’Andante en si bémol majeur n°5, en mozartienne lumière. On admire l’extraordinaire divagation de la fugue à trois voix du Moderato en ut majeur n°2, la tourmente tellement expressive, romantique au fond, du douloureux Prélude en ré mineur n°3, mais encore les redoutables détachées du Menuet en ré majeur n°4, dans le goût italien.

Ce beau programme offre un inédit conservé à la bibliothèque du Conservatoire royal de Bruxelles. Dans cette aria envoûtante, le soliste se répond à lui-même dans l’esprit d’une romance improvisée. La tendre mélopée de l’Adagio en ré mineur s’inscrit dans son siècle, celui du bel canto, celui de Bellini pour le chant, de Donizetti pour les cabalettes de chœur. L’exigence technique est extrême.

À vingt-trois ans, Henri Vieuxtemps compose ses brillantes Études de concert Op.16. Redoutables, elles mettent formidablement en valeur l’art de Francesco Parrino. Après une attaque tonique, pour ne pas dire féroce, l’Allegro moderato en sol mineur n°1 ouvre comme un éventail les motifs d’auto-accompagnement. L’exactitude confondante des arpèges du Moderato en sol majeur n°2, luxueusement chanté, ne le cède en rien à la délicatesse exquise qui conduit l’interprétation de l’Allegretto en ré majeur n°3. L’effet de polyphonie de l’Allegro ma non troppo en mi bémol majeur n°4 né d’une maille sensiblement variée. Des souvenirs de grands maîtres surgissent ensuite : Mozart dans l’Adagio en mi majeur n°6, Beethoven dans le début méditatif de l’Adagio ma non troppo en ut majeur n°5, errance désolée au grand souffle où se mêle un cantus firmus – Bach, toujours, donc.

Ce bijou d’interprétation, tellement raffiné mais jamais sottement précieux, qui vainc avec confiance la prouesse technique, est couronné par le Morceau en ré mineur Op.55 n°6 ouvert par une phrase nue de style ancien. Parrino se joue magistralement des virevoltes lyriques, mais encore d’une fugue qu’on jurerait écrite pour un piano. Voilà qui ne lui fait pas peur ! Après une résolution en toccata échevelée, le retour du thème initial, dans une nudité singulière, n’en est pas encore le dernier mot : un final résume la structure de la pièce, dans un geste enlevé. Quel disque ! Indispensable, assurément.

AB