Chroniques

par pierre-jean tribot

Henry Purcell
King Arthur | Roi Arthur

1 DVD EuroArts (2005)
205409
Henry Purcell | King Arthur

Été 2004, pour la première fois dans l'histoire du Festival de Salzbourg, un opéra d'Henry Purcell est joué dans le cadre de la célèbre manifestation. La direction n'a pas donné dans la demie mesure : une dizaine de représentations et une affiche prestigieuse – Nikolaus Harnoncourt, Barbara Bonney, Michael Schade… King Arthur, sur un livret de John Dryden, est toujours une partition problématique à cheval entre l'opéra et la musique de scène. Dans cette « première comédie musicale de l'histoire », selon Harnoncourt, la musique ne traite que les scènes allégoriques, alors que l'intrigue est contée par des dialogues parlés. Les chanteurs ne sont pas exclusivement dévoués à un rôle mais incarnent tour à tour des dieux, des bergers, des nymphes. Adaptée au goût particulier du public anglais de la fin du XVIIe siècle, l'œuvre mélange humour, dérision, émotion, alors que les effets se veulent spectaculaires et grandiloquents. Lors de la première, John Dryden aurait fourni aux comédiens des éponges gorgées de sang pour rendre les scènes de bataille plus réalistes !

L'actuelle production, mise en scène par Jürgen Flimm, futur directeur du Festival de Salzbourg, pose de nombreuses questions. Espérant faciliter la compréhension du public, le texte original de Dryden a été retravaillé en profondeur et traduit en allemand. Les dialogues sont donc parlés dans cette langue tandis que la musique est chantée en anglais ! Mais pour en rajouter dans la farce à l'autrichienne, le metteur en scène ne recule devant aucune facilité : How happy the lovers a été placé en fin de spectacle, histoire d'affirmer le côté grand opéra de la chose. La machinerie baroque est évidemment actualisée – le magicien Merlin se déplace en planche à voile… – tandis que les costumes visent forcément à stéréotyper – l'Anglais Arthur est vêtu de grotesques vestes en tweed et le Saxon Oswald chausse des bottes de cuir et porte une culotte de cheval, bien entendu ! La direction d'acteur vise uniquement à amuser, si bien qu'encore acceptable dans les Actes I et II, elle devient proprement insupportable dans les trois suivants, à l'image du célèbre air du génie du froid où baryton et choristes se trémoussent dans d'immondes costumes de pingouin. Le sommet du ridicule est atteint quand Merlin travesti en épouse réactionnaire de banquier allemand vient haranguer le public, coutume certes fréquente dans Fledermaus mais inopportune ici. D'autant que le discours est d'une épouvantable complaisance vis-à-vis des goûts de la majorité du public : ainsi la foule applaudit-elle quand Merlin se plaint de l'absence d'une navette d'hélicoptères pour desservir le palais des festivals !

Dans la fosse, Nikolaus Harnoncourt s'est passablement embourgeoisé. Son Concentus Musicus est toujours aussi affûté, mais la direction du chef manque de punch, de légèreté et de second degré. Les chanteurs sont carrément hors propos, si l'on attend un chant fidèle à l'esprit de l'œuvre. Barbara Bonney, courte en projection, semble chanter Strauss. Michael Schade, qui paye extrêmement de sa personne dans ce spectacle, est très musical, mais on à l'impression que Tamino s'est égaré chez Purcell. Mention passable pourBirgit Remmert,Isabel Rey et Oliver Widmer. Le Chœur de l'Opéra de Vienne est le seul à se sortir honorablement de ce bien décevant spectacle qui ne peut que nous interpeller sur le niveau de ce qui fut la Mecque de la musique.

PJT