Chroniques

par bertrand bolognesi

Hervé Gouriou
L'art campanaire en Occident

Les Éditions du Cerf (2006) 334 pages
ISBN 2-204-07612-0
L'art campanaire en Occident, par Hervé Gouriou

Dans Des superstitions qui regardent les cérémonies qui suivent le Baptême, publié en 1663, Jean-Baptiste Thiers (1636-1703), abbé de Vibraie, érudit et théologien à qui l'on doit par ailleurs une Histoire des perruques et un Traité des cloches, écrivit : « Les paysans, les gens de basse condition, les enfants, les fous, les sourds et les muets aiment beaucoup à sonner les cloches ou à les entendre sonner ». Quant à lui, Hervé Gouriou aime à les étudier et, fort heureusement pour le lecteur, à communiquer la passion qu'elles lui inspirent.

Aussi, tout au long de L'art campanaire en Occident, le campanologue et musicologue sait-il nous initier aux secrets qui permettront de poser les bonnes questions aux divines sonneuses, remontant jusqu'à l'Antiquité où apparaissent clochettes et cloches, reprécisant scrupuleusement des éléments d'histoire religieuse occidentale afin de replacer le sujet dans son contexte, pour explorer les fonctions et les statuts de la cloche dans l'Histoire. On apprendra beaucoup sur le métier de fondeur, recourant à l'attribut de l'enfer pour créer une voix aux cieux qui appelle les fidèles à la prière, ainsi que sur le domaine architectural, s'agissant des différents clochers et beffrois d'où les instruments s'exprimeront. L'auteur approfondit l'étude des rapports entre le peuple français et ses cloches, en milieu urbain comme en zone rurale, qu'il s'agisse d'usages religieux ou civils, sans oublier de nous éclairer sur l'histoire des techniques horlogères qui leur est intimement liée. De guets en jacquemarts, de tocsins en couvre-feu, sans oublier les tourmentes, on suivra dans cet ouvrage le rôle des sonneurs à travers les âges, s'arrêtant sur de fameuses querelles comme sur le cruel destin des cloches pendant la Révolution.

Pour mieux asseoir les connaissances qui autorisent ces diverses réflexions, Hervé Gouriou nous introduit au préalable à des considérations d'ordre physique et technique, mais aussi à l'observation des inscriptions gravées dans l'airain, qu'il s'agisse de dates, de noms propres ou de personnages bibliques, ainsi que sur la figuration de motifs héraldiques. Un tableau des motifs gravés permet ici de représenter les couleurs employées par ces ornements, avec la symbolique correspondante. Après une description précise des procédés intervenant dans la construction d'une cloche, l'auteur expose les différents modes de balancement : le lancé franc, le superlancé, le lancé équilibré, le rétrogradé et le rétrolancé ; dans chaque cas, il aborde précisément et systématiquement sa présentation, son fonctionnement, ses avantages et ses inconvénients. Tous les objets intervenants dans l'art campanaire sont alors étudiés avec méthode.

Objet sonore au service du religieux et du citoyen, la cloche est un instrument de musique. Aussi ce livre se penche-t-il sur les détails de cette identité, présentant quatre modes de sonneries présents sur le territoire français et relevant de traditions très affirmées localement : volées tournantes de l'Ariège, sonneries de la vallée de la Vésubie, nadalet du Midi et glas roulant de Normandie, avec une petite excursion Outre-manche afin d'exposer le Change ringing britannique (des schémas permettent une représentation fiable des principes de sonnerie, pages 189 à 206).

Un tel essai ne saurait s'achever sans l'évocation de certaines croyances populaires, comme celles qui attribuaient aux sonneries de cloches des pouvoirs curatifs ou maléfiques, nous invitant dans la vaste mythologie campanaire dont la sombre légende du village de Saint-Jean-d'Été (Quercy) ou celle, plus célèbre, des cloches de Corneville – qui inspira à Robert Planquette son opérette (1877) grâce à laquelle des mécènes étrangers permirent la fonte effective de douze cloches pour le carillon de Corneville qui en était dépourvu – constituent quelques exemples. Après un tour de France des plus célèbres cloches de volées, l'auteur présente la babylonienne Cloche du Millénaire (plus de trente-trois tonnes) avant que de conclure son essai sur un chapitre plus exclusivement musicologique.

BB