Chroniques

par laurent bergnach

Hervé Lacombe
Francis Poulenc

Fayard (2013) 1104 pages
ISBN 978-2-213-67199-4
Chez Fayard, Hervé Lacombe signe une biographie de Francis Poulenc

« Francis Poulenc a trouvé son langage dans la sincérité. Il n’a jamais menti. Il n’était pas innovateur, mais il est l’auteur d’une œuvre originale puisqu’il l’écrivit comme il l’entendait et que, faite à son image, elle le représente sans supercherie ». S’il faut aller plus loin que ces mots pertinents de Louise de Vilmorin pour connaître mieux l’auteur des Biches (1899-1963), on se tournera sans crainte vers l’excellent ouvrage signé Hervé Lacombe – spécialiste de la musique des XIXe et XXe siècles, déjà l’auteur d’une biographie de Bizet –, conçu avec le soutien de l’Association des Amis du musicien qui permit la consultation de plusieurs sources inédites.

Que le compositeur ne soit pas un créateur type Boulez, enclin à « désengager le moi biographique de la sphère esthétique » (dixit Lacombe), est une évidence pour l’intéressé lui-même qui, au début des années vingt, tente l’expérience de l’atonalité sans convaincre personne (Impromptus, Promenades, Quatre poèmes de Max Jacob). Dépourvu de « la main habile de Ravel », résigné à se laisser inspirer par l’émotion seule, Poulenc revendique le droit d’écrire « de la musique neuvequi se contente des accords des autres ». Il se place dans l’héritage de Mozart et Schubert, assume ses rejets (Hindemith, Schönberg, Fauré, etc.) tout en redoutant d’être enterré par l’avant-garde à mesure que le temps passe.

Attaché à sauvegarder la tradition, Poulenc cherche aussi (ainsi ?) à préserver le souvenir, « démenti à la finitude de toute chose et d’abord des êtres qui nous sont chers » (Lacombe). Car comme Blanche voit tomber d’un coup ses sœurs du Carmel, le musicien nostalgique voit disparaître sa famille (mère, père, oncle Papoum) et ses amis (Radiguet, Bérard, Honegger), les uns après les autres. L’enfance à l’Opéra Comique s’éloigne, puis la jeunesse aux guinguettes, et avec celle-ci l’amour insouciant. En plus des deuils, de l’hypocondrie et de soucis financiers récurrents, le pèlerin de Rocamadour affronte à présent des relations tendues avec des amants qu’il étouffe par sa jalousie et son angoisse de l’abandon.

En définitive, c’est un être bifrons, bouffon mélancolique mi-roman mi-baroque, toujours en quête de modèles (Chabrier, Stravinsky, Satie, Koechlin, Viñes), voire d’une nouvelle famille appelée à raviver son éternel manque de confiance en lui – ce dont témoignent les carences comptabilisés chez les confrères, les conseils glanés auprès des chanteurs Pierre Bernac et Denise Duval qu’il accompagne en récital, mais surtout des œuvres détruites, à l’image du Quatuor jeté dans un égout parisien. « Quand donc aurais-je une vie sage ? s’inquiète-t-il, la soixantaine venue. Mais alors je n’aurai peut-être plus rien à dire ».

LB