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Chroniques
Igor Stravinsky
œuvres orchestrales et chambristes
En 1971, alors président de Columbia Records, Goddard Lieberson évoquait la mémoire d'Igor Stravinsky, récemment disparu, en s'étonnant de l'appétit d'un lecteur « si vorace qu'il était presque impossible de lui offrir un livre qu'il n'eût déjà lu. Peut-être eut-ce été possible en se plaçant à la sortie de la chaîne de fabrication. Mais dès qu'un livre de quelque importance apparaissait, Stravinsky, dans les délais les plus brefs, l'avait lu et classé dans sa bibliothèque, d'où il le sortait avec un petit sourire triomphal au moment même où vous vous apprêtiez à lui en faire cadeau ». Le flair du créateur en matière littéraire semble effectivement très sûr car si, dans sa jeunesse, le compositeur semble d'abord proche de ses confrères (Debussy, Ravel, Falla, Schönberg), du monde de la danse (Diaghilev, Nijinski) ou de la peinture (Picasso), c'est en collaborant avec des écrivains originaux qu'il marquera l'histoire de la scène.
Avant Auden et The Rake's Progress, Cocteau et Œdipus Rex, c'est la rencontre avec Ramuz qui donne naissance au livret de L'Histoire du soldat – même si ses grandes lignes doivent beaucoup à Stravinsky, se rappelant du folkloriste Afanassiev, lequel avait récolté des histoires de soldats chez les paysans recrutés lors des guerres russo-turques. Également lié à un contexte conflictuel, le spectacle ambulant voulu par Stravinsky se veut universel, mais conserve au Diable un aspect religieux et culturel bien ancré dans la chrétienté. Moins d'un an après la création à Lausanne, le 28 septembre 1918, le compositeur en fait entendre une version arrangée pour violon, clarinette et piano. Quant à elle, la Suite comprend sept instruments, dont une trompette et un basson qui permettent une couleur des vents plus variée – ces derniers, d'ailleurs, structurent le présent programme, grâce à la clarinette claire de Charles Neidich dans Trois pièces pour clarinette (1918) et Pour Picasso (1917), aux arrangements de Pastorale (1908 / 1924) pour violon et quatuor à vents, etc.
En 1915, Stravinsky s'attelle au livret de Renard. Là encore, Afanassiev a inspiré une pièce destinée à un orchestre assez réduit pour permettre l'exécution dans le salon de la princesse Edmond de Polignac, commanditaire de l'œuvre. L'instrumentarium exigeant la présence d'une guzla (sorte de balalaïka à cordes métalliques, désormais pièce de musée), on a aujourd'hui recours au cymbalum. Sous la baguette énergique de Robert Craft, les voix masculines réunies – les ténors John Aller et Steven Paul Spears, le baryton David Evitts, la basse Wilbur Pauley – ne manquent pas de clarté, de muscle, de couleur. Autres œuvres chantées avec talent, Pribaoutki et Berceuses du Chat (créés à Vienne le 6 juin 1919) bénéficient de la sombre présence de Catherine Ciesinski, tandis que Susan Narucki apporte un aigu lumineux – quoique un peu étroit – à Deux Poèmes de Balmont (1911) et Trois Poésies de la lyrique japonaise (1913).
Pour terminer, il faut noter l'intervention de trois brillants ensembles dans ces enregistrements réalisés entre 1992 à 2005 – Instrumental Ensemble, Orchestra of St. Luke et Philharmonia Orchestra – et regretter que le disque s'achève sur la sinistre Chanson des Bateliers de la Volga (arrangement de 1917) plutôt que sur l'entraînant Scherzo à la Russe (version originale de 1944, pour Jazz Band).
LB