Chroniques

par laurent bergnach

Igor Stravinsky
Pulcinella – Le baiser de la fée

1 CD Naxos (2006)
8.557503
Igor Stravinsky | Pulcinella – Le baiser de la fée

Pendant une vingtaine d'années, de L'Oiseau de feu (1910) à la reprise de Renard (1929), Igor Stravinsky marqua les Ballets Russes de son empreinte – et inversement, sans aucun doute. Parmi ses musiques liées au monde du spectacle, Petrouchka (1911), Le Sacre du Printemps (1913) ou Noces (1923) appartiennent désormais à l'histoire artistique du XXe siècle et, dans une moindre mesure, Pulcinella et Le Baiser de la fée présents sur ce cinquième volume de la musique de Stravinsky enregistrée par Robert Craft, en début d'année 1995, avec les Philharmonia Orchestra et London Symphony Orchestra [lire notre critique du CD vol.3 et notre critique du CD vol.4].

« Pulcinella fût une découverte du passé, l'épiphanie grâce à laquelle l'ensemble de mon œuvre à venir devint possible. C'était un regard en arrière, certes, la première histoire d'amour dans cette direction-là, mais ce fût aussi un regard dans le miroir. » L'œuvre est née du désir de Diaghilev de renouveler le succès des Femmes de Bonne Humeur (1917), spectacle à base d'extraits de Scarlatti. Stravinsky s'est donc vu chargé d'orchestrer quelques morceaux inédits de Pergolesi, copiés en Italie.

L'argument nous entraîne à Naples, dans la ronde des masques de la Commedia dell'Arte. Jaloux des succès amoureux de Polichinelle, Caviello et Florindo décident de se débarrasser de lui. Les jeunes gens croient l'avoir tué, mais le héros de l'histoire prépare son étonnante résurrection. Terminée le 20 avril 1920, la partition pour petit orchestre et trois voix solo fut créée avec succès le 15 mai, avec la complicité de Massine pour la chorégraphie, de Picasso pour le décor et d'Ansermet au pupitre. Notons que la formation, proche du concerto grosso, favorise les cordes au détriment de toute percussion, intégrant des syncopes de contrebasses, des glissandi de trombone (Vivo, plage 17) dans un esprit jazz. Lors du dernier concert public qu'il dirigea (17 mai 1967), c'est cette œuvre que joua Stravinsky. Ici, la lecture de cet ancien assistant du maestro est toute d'élégance, de clarté et d'équilibre. Dommage que la prestation du ténor Robin Leggate soit inégale, en comparaison du mezzo Diana Montague et de la basse Mark Beesley, bien plus lumineux que lui.

Huit ans plus tard, c'est du côté de Tchaïkovski – bien plus proche de lui – que se tourne le Russe pour Le Baiser de la Fée, d'après un conte d'Andersen : La Reine des neiges. À partir de pièces de piano et de mélodies de jeunesse de son aîné, le compositeur développe et élabore une symphonie de ballet en quatre scènes. Son génie est d'avoir principalement travaillé sur les changements de rythme ; ainsi, un vif Scherzo humoresque devint-il un morceau plus lent (ouverture de la Scène 3). L'œuvre répond à une commande de la toute jeune compagnie dirigée par Ida Rubinstein – d'abord comédienne, puis élève de Michel Fokine –, ce qui brouilla définitivement Diaghilev et le compositeur après la création d'Apollon Musagète (1928). Elle fut chorégraphiée par Bronislava Nijinska et créée le 27 novembre 1928. Malgré les trouvailles du compositeur, on rejoint Diaghilev qui jugeait ce ballet mort-né comme « une mauvaise suite de Tchaïkovski, larmoyante et ennuyeuse » ; d’ailleurs, le créateur lui-même en tira un Divertimento (1934), version condensée de ce Baiser qui nous plonge dans le sommeil au lieu de nous en sortir.

LB