Chroniques

par laurent bergnach

Jérôme Rossi
Frederick Delius ou Une célébration de la vie

Éditions Papillon (2010) 256 pages
ISBN 2-940310-38-6
Frederick Delius ou Une célébration de la vie, un ouvrage de Jérôme Rossi

Tous les Britanniques n’ont pas une vie paisible de Hobbit, axée sur un rituel Five o 'clock teaPreuve en est le compositeur Frederick Delius (1862-1934), né dans le Yorkshire (Angleterre) avec le triple prénom Fritz Theodore Albert, simplifié par la suite, qui trahit ses racines allemandes. Dans les premières années, son père encourage sa culture musicale, que ce soit par des sorties au concert ou par la pratique d’instruments ; si bien qu’à six ans, le jeune garçon joue déjà au piano des airs entendus et prend des cours de violon. Entre Brahms et Wagner, son cœur penche vers le second, ce que démontre assez l’écoute de ses opéras Irmelin (1892), The magic fountain (1895) et A village Romeo and Juliet (1901) [lire notre chronique du 6 juillet 2014].

Mais la complicité paternelle n’est qu’un cadeau d’enfance, et Frederick est orienté vers le secteur commercial, afin de reprendre un jour l’entreprise familiale. Il est envoyé en France et en Scandinavie, souvent sous surveillance, mais le musicien finit toujours par se mêler à des groupes d’artistes. De guerre lasse, le père accepte un projet censé les contenter tous deux : s’occuper d’une plantation d’oranges en Floride ! En mars 1884, âgé de vingt-deux ans, le jeune homme s’embarque donc pour une aventure qui le ramène à sa passion. Il fréquente une voisine qui aime chanter ainsi que l’organiste Thomas Francis Ward qui le forme au contrepoint. Moins d’un an plus tard, son premier opus publié, Frederick prend la ferme décision de devenir compositeur.

Après ce séjour initiatique pétri de contemplation de la nature et d’admiration pour l’âme musicale Noire, Delius fait un séjour de formation décevant à Leipzig mais décroche une pension paternelle grâce au soutien de Grieg, lequel encourage ses dons par des conseils (« […] à la poursuite de votre art plutôt que d’accepter une position formelle, suivez à la fois votre vraie nature et la voix intérieure de vos idéaux et vos inclinaisons »). De 1888 à 1895, c’est « le tourbillon parisien » où « tout est trop raffiné, trop affecté ». Pour composer au calme, il préfère se retirer à Ville d’Avray, prélude à sa retraite de plusieurs décennies à Grez-sur-Loing (Seine-et-Marne), dans une maison achetée par sa femme, la peintre Jelka Rosen (1897).

Auteur d’une thèse sur le compositeur soutenue en Sorbonne en 2005, Jérôme Rossi livre aujourd’hui la première biographie en français de Delius, près de quarante ans après l’ouvrage new-yorkais d’Alan Jefferson. Comme toujours dans la collection Mélophiles, l’ouvrage comporte de nombreuses photos et des analyses de partitions majeures qui en aèrent et enrichissent la lecture – Florida Suite (1887), Koanga, Appalachia (1904), Sea-Drift (1906), Brigg Fair (1907), A Mass of Life (1909), North Country Sketches (1917), Requiem (1922), etc. Et comme toujours, c’est un plaisir de suivre un créateur, ici passant d’une gloire tardive aux années sombres (guerre, ruine, invalidité), dans sa quête intime de l’équilibre parfait entre ce qu’il veut dire et les moyens d’y parvenir.

LB