Chroniques

par bertrand bolognesi

Jachet de Mantoue – Adrian Willaert
Messe et Motets de circonstances

1 CD Calliope (2004)
CAL 9342
Mantoue – Willaert | Messe et Motets de circonstances

Le compositeur et chantre français Jacques Colebault, plus connu sous les noms de Jacquet ou Jachet de Mantoue, et Jachettus Gallicus pour les italiens, fit une grande carrière transalpine, puisqu'il fut, de sources sûres, actif à Ferrara, Mantova, Modena et Venezia, et que tout donne à croire qu'il ne s'en tint pas à ces seules villes. Né en 1483 à Vitré, il écrivit ses premiers recueils de motets sous l'influence des maîtres flamands, avant de développer son propre style à travers les nombreuses hymnes et quelques messes qu'il produisit dès 1526, à peine entré au service des Ducs de Gonzague à Mantoue, puis lorsqu'il fut nommé dans cette même ville maître de chapelle du Duomo San Pietro – un poste qu'il honorerait vingt-cinq années durant, de 1534 à sa mort en 1559 –, prestigieuse nécropole des Gonzague depuis deux siècles, par un représentant de cette illustre famille, le tant respecté que jeune évêque-cardinal Ercole Gonzaga. Après la domination de la famille Canossa puis des Buonacolsi, Mantoue devint possession des Gonzague en 1328 : ces ducs gibelins excellents guerriers entendirent édifier une ville d'art d'un humanisme raffiné, de même que le firent les Medicis à Florence, par exemple. Aussi surent-ils s'entourer d'artistes exceptionnels, tels les architectes et sculpteurs Feti, Romano, Fancelli, Alberti, les peintres Mantegna, Pisanello, Castiglione, Morone, tout en collectionnant les antiques avec passion, et protégeant poètes, philosophes et musiciens, dont Jachet et plus tard Monteverdi.

Vraisemblablement son cadet de cinq ou sept ans, le flamand Adrian Willaert (né à Bruges) entrait à peu près au même moment au service des Este, une famille apparentée aux Gonzague par la célèbre Isabelle d'Este qui épousa le duc Gian Francesco II Gonzaga au début du XVIe siècle, grande protectrice des arts à la Renaissance italienne, c'est-à-dire précisément dans les années qui nous occupent. Ferrare, d'abord dominée par les Canossa, est saisit grâce à l'appui de Venise en 1264 par les princes d'Este. D'une manière comparable, ces guerriers guelfes devaient illuminer le visage de la ville en attirant à leur cour et durant plus de trois siècles les plus grands artistes, tels da Carpi, Alberti, Benvenuti, Cristoforo da Firenze, Il Garofalo, Bastianino, della Quercia, Tura, de Roberti, Schiatti, Rosseti, Mona, bien sûr les poètes L'Arioste et Le Tasse, et jusqu'à l'astronome Pellegrino Prisciani. En 1515, et pour douze ans, Willaert connaîtrait une carrière ferrarraise sous la protection du cardinal Hippolyte d'Este, du duc Alphonse Ier, puis du cardinal Hippolyte II, avant de quitter la ville pour Venise en 1527 pour devenir maître de chapelle à San Marco jusqu'à sa mort en 1562. À ce poste, il formerait les futurs théoriciens et compositeurs dont les plus connus sont Cyprien de Rore et Andrea Gabrieli, avant de céder la place à un autre flamand, Jachet de Berchem, lui aussi protégé des Este. C'est alors qu'il développerait un art madrigaliste tout à fait nouveau, et reflétant bien la Venise affaiblie qui se réfugie de lourdes pertes et d'une influence européenne perdue dans l'art et une mondanité désespérément fastueuse.

Le très beau disque publié aujourd'hui par Calliope alterne des motets et des psaumes de ces deux maîtres qu'on pourrait dire italiens, dans une lecture d'une parfaite égalité, sans contrastes superflus ni panneaux indicateurs pour auditeurs en mal de perception polyphonique ! Tout au contraire, l'équilibre ici est magique, ne livrant rien de ses mystères, y compris dans la messe centrale Missa Enceladi Coeique soror de Jachet de Mantoue développée à partir du motet éponyme. L'Ensemble Jachet de Mantoue et Les Sacqueboutiers de Toulouse signent là un petit bijou.

BB