Chroniques

par laurent bergnach

Jacques Bonnaure
Saint-Saëns

Actes Sud / Classica (2010) 208 pages
ISBN 978-2-7427-9323-5
biographie de Camille Saint-Saëns par Jacques Bonnaure

« Rigueur et concision d’une forme prétendue beethovénienne, clarté d’une écriture maîtrisée, virtuosité lisztienne mais néanmoins académique… », tels sont les poncifs recensés par le pianiste Jean-François Heisser (dans la préface) concernant certaines œuvres de Saint-Saëns jugées, au mieux, avec une bienveillante condescendance française. C’est pourquoi cette biographie peut faire changer notre point de vue sur le créateur de La danse macabre et du Carnaval des Animaux, en réalisant qu’un manque de personnalité apparent peut être un choix esthétique. Héritier d’une tradition de clarté et d’évidence, Camille Saint-Saëns (1835-1921) s’est exprimé à ce propos :

« Pour moi l’art c’est la forme. L’expression, la passion, voilà qui séduit avant tout l’amateur. Pour l’artiste, il en va autrement. L’artiste qui ne se sent pas pleinement satisfait par des lignes élégantes, des couleurs harmonieuses, une belle série d’accords, ne comprend pas l’art. Pendant tout le XVIe siècle on a écrit des œuvres admirables dont toute émotion est exclue. »

Saint-Saëns n’a pas trois mois quand son père succombe à la phtisie. Son apprentissage du piano se fait dans un environnement féminin, notamment avec Camille Stamaty, au style daté. L’enfant se produit dans des salons, puis en concert, avant de faire trois rencontres importantes : Gounod, Boëly et Viardot. Il compose quelques mélodies, mais se distingue vite comme (poète) symphoniste. Soliste, il tient l’orgue et l’harmonium dans différentes églises ; enseignant, il côtoie Fauré et Messager. Puis c’est l’aventure de l’opéra et celle de voyages frénétiques (notamment au Maghreb).

En rassemblant les moments d’une vie moins lisse qu’on pouvait l’imaginer, Jacques Bonnaure parvient à nous intéresser à ce compositeur officiel de la Troisième République, conservateur et polémiste surprenant, car tout autant anticlérical, dreyfusard et capable de disparaître plusieurs mois, sous un nom d’emprunt, après l’abandon d’une épouse qu’il ne reverra jamais.

LB