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Chroniques
Jacques Fromental Halévy
Clari
La fête d’anniversaire de Clari approche au château du Duc et chacun s’affère et astique. Présentée comme une cousine, la jeune femme est en réalité une fille de paysans à qui le mariage est promis – quelques images de roman-photo projetées sur scène (dont l’irrésistible scène de traite visible sur la jaquette) instruisent d’une rencontre que Caurier et Leiser transposent à l’heure du virtuel. Alors que Clari chante son bonheur et ses doutes, le spectateur lui-même ne sait si cette innocente est tombée dans les griffes de quelque golden boy dont les amours passent aussi vite qu’une soirée au casino. Une fois les invités présents à la fête, une petite saynète préparée par trois domestiques va dégénérer : Clari voit dans une héroïne déshonorée et maudite par son père (façon Greuze) un reflet de sa propre histoire. Elle tombe sans connaissance en renonçant au mariage.
Tel est le premier des trois actes d’un opéra qu’Halévy (1799-1862) composa avant de rencontrer un succès toujours d’actualité avec La Juive (1835), ce prototype du « grand opéra français ». Créé le 9 décembre 1828 pour le Théâtre-Italien de Paris, à destination d’un public idolâtrant Rossini, Clari s’avère un opera semi seria dans le pur style belcantiste dont le livret, signé Pietro Giannone, s’inspire d’un ballet-pantomime éponyme de Rodolphe Kreutzer – sous-titré La promesse de mariage (1820). Chaleureusement accueilli, l’ouvrage repris en janvier 1830 avec quelques révisions jouit de la présence d’une mezzo-soprano de vingt ans : Maria Malibran. Cecilia Bartoli, qui a célébré dignement le bicentenaire de sa naissance en 2008 – tournée accompagnée du Museo Mobile –, la présente comme une pionnière :
« Elle interprétait ses rôles sans s’embarrasser des conventions de l’époque. D’autres cantatrices illustres telles Giuditta Pasta ou Isabella Colbran respectaient toujours, dans leurs prestations, une certaine étiquette. Maria Malibran, elle, s’en affranchissait, privilégiant une expression très libre et naturelle. Cette manière de faire lui valut au début de nombreuses critiques, mais elle finit par révolutionner le théâtre. Tout à coup, il était permis de laisser libre cours à l’émotion. Le public riait avec la Malibran – laquelle avait beaucoup d’humour –, et il pleurait avec elle dans les grandes scènes dramatiques. Que peut-on atteindre de plus beau face au public ? »
La Bartoli est bien évidemment la vedette de cette production zurichoise de 2008. Come dolce a me favelli, cara voce dell’amore, son premier aria vingt (longues) minutes après le générique d’ouverture, l’invite à des phrases tendrement menées, frôlant même un maniérisme heureusement passager. Par la suite, ce sont vigueur de l’expression et fluidité des vocalises qui enchantent, mais sans que disparaisse une certaine délicatesse à vous serrer la gorge, comme dans Assisa a’ piè d’un salice (l’air du saule) emprunté à la Desdemona de Rossini au deuxième acte – et ce « conformément à l’usage de l’époque et à l’habitude de Maria », cette dernière ayant trouvé avec Otello son rôle fétiche.
Filmée en août et septembre, cette production garde le meilleur pour la fin. En effet, apparaissant d’abord terne même si souple et élégant, John Osborn (Il Duca) éblouit dès l’Acte II par sa fermeté et un éclat retrouvé. De même pour Oliver Widmer (le domestique Germano), sonore mais bien longtemps éraillé. En revanche, pas de mise en train pour Eva Liebau (Bettina), au chant lumineux et évident. Giuseppe Scorsin (le domestique Luca) se montre efficace, de même que Carlos Chausson (Alberto) et Stefania Kaluza (Simonetta), stables malgré leur statut d’aînés. En fosse, à la tête de La Scintilla (sur instruments d’époque), Adám Fischer promet dès l’Ouverture des moments de légèreté et d’autres de tension, avec vivacité et une netteté qui n’exclut pas la rondeur.
SM