Chroniques

par laurent bergnach

Jacques Fromental Halévy
La Juive

1 DVD Deutsche Grammophon (2004)
00440 073 4001
Jacques Fromental Halévy | La Juive

Opéra en cinq actes de Jacques Fromental Halévy, La Juive fut créé à Paris le 23 février 1835. L'œuvre eût des admirateurs tels Verdi et Wagner, et si d'autres compositions du Français rencontrèrent le succès, elle seule fut considérée, en son temps, comme la « huitième merveille du monde ». Mais après la Deuxième Guerre Mondiale, le genre du Grand Opéra à la française, avec chœur et mouvements de foule, disparut des théâtres : le public se détourne de ces destins lyriques confrontés aux aléas de l'Histoire. Il fallut un quart de siècle pour revoir La Juive sur une scène, soit à l'automne 1999, à l'Opéra d'État de Vienne. Le livret d'Eugène Scribe n'est pas un chef-d'œuvre littéraire, mais il a le mérite de proposer des personnages en proie à des dilemmes amoureux et religieux plus sombres que de coutume.

En 1414, dans la ville de Constance (Suisse), vit l'orfèvre Eléazar, de confession juive. Leopold, Prince de l'Empire, tombe amoureux de sa fille Rachel et ment sur sa religion pour l'approcher. Peu à peu, la catastrophe s'annonce : Leopold apprend la vérité à la jeune fille, qui à son tour, apprend à la Princesse Eudoxia que son époux est coupable d'avoir séduit une Juive. Après qu'un anathème soit lancé contre le chrétien coupable, que les deux amants voient leur condamnation à mort se rapprocher, on assiste à différents coups de théâtre : pour sauver la vie de l'homme qu'elle aime, Rachel avoue avoir menti, tandis qu’Eléazar, avant de mourir, révèle au cardinal Brogni que Rachel, qu'on livre aux flammes à l'instant même, est l'enfant qu'il a sauvé naguère dans sa maison mise à sac par les Napolitains.

La mise en scène deGünter Krämer est efficace sans être des plus subtiles – en particulier l'ambiance Munich 1930 qui règne sur le chœur bavarois, et qui situe l'action à un apogée de haine raciale, quand il aurait fallu viser à l'universalité. Avec une belle mobilité de tempo, beaucoup de vivacité et d'élégance,Vjekoslav Šutej dirige l'Orchestre du Staatsoper.

Adolphe Nourrit, grand ténor de l'époque, devait initialement chanter l'amoureux, mais réussit à convaincre Halévy de lui confier le rôle d'Eléazar, initialement prévu pour une basse légère, et réécrit pour l'occasion. Depuis, Enrico Caruso, Leo Slezak ou Giovanni Martinelli défendirent le rôle, jusqu'à Neil Shicoff, dans cette production viennoise. Reconnaissons la vaillance du chanteur, mais déplorons que les textes et les photos du livret ne se concentrent que sur sa personne (sans parler du bonus, qui frôle l'hagiographie...). Son personnage est certes intéressant, mais pas moins que celui de Krassimira Stoyanova (Rachel) ou Simina Ivan (Eudoxia). La première allie un chant magnifique à une excellente diction et montre une vraie présence de comédienne. La seconde offre une voix colorée dont la souplesse permet des vocalises d'une aisance inouïe – merveilleux air Tandis qu'il sommeille, à l'Acte III !

Si l’on a quelques réserves sur le reste de la distribution, la seule présence de ces artistes ravira les mélomanes exigeants. Citons le ténor Jianyi Zhang (Prince Léopold, passionné puis poltron) qui possède une voix souple et un bon français mais peine à attraper certains aigus, et Boaz Daniel (grand prévôt Brogni) à la diction un peu embrouillée mais qu'on excuse pour ses beaux graves. Ces trois heures de spectacle, filmées avec aisance lors d'une reprise en 2002, sont dans l'ensemble une réussite.

LB