Chroniques

par hervé könig

Jacques Lenot
pièces pour piano (vol.1)

1 CD Intrada (2004)
INTRA 012
Jacques Lenot | pièces pour piano

Le pianiste canadien Winston Choi, dont nous avions salué le disque consacré à Elliott Carter il y a quelques mois, chez L'Empreinte Digitale [lire notre critique du CD], entreprend aujourd'hui une intégrale de l'œuvre pour piano de Jacques Lenot (né en 1945), pour le label Intrada, dont voici le premier volume.

On remarquera ici deux périodes bien distinctes dans l'écriture du compositeur. Les extraits des Six Premières Études datent des années quatre-vingt, une époque où un caractère franchement angoissé s'exprime par des ruptures brutales, sorte de contre-ornementation, si l'on peut dire, d'un propos généralement entravé. L'Allegro frenetico (Étude I) ouvre étonnement cet enregistrement, sous les doigts justement agressifs de Choi ; on se demande cependant où, dans cette interprétation, sont passées les vagues de nuances dont parle l'auteur. Mesto (delirando), l'Étude II habite le silence à sa manière. L'instrumentiste y colore les pianissimi, tout en ne négligeant pas l'inquiétude de cette page, traversée de ruptures formant de véritables cataclysmes. Le travail de nuances du Fantasque (Étude V) est satisfaisant, mais le chant reste terne, et la sonorité manque en général de profondeur. Nous retrouverons cette tendance dans We Approach the Sea, une pièce de 1982, d'une grande complexité d'expression, qui réclame une approche peut-être plus raffinée. Indiscutablement, la tourmente du très bref et tout récent Burrascoso convient mieux au pianiste.

Nous l'entendons ensuite dans onze des douze Préludes formant le Livre II de Lenot, écrits entre février à juillet 1996, « dans un seul et même lieu retiré » – contrairement aux pièces du Livre I qui s'échelonnent de 1989 à 1996. Affirmant les contrastes de Wie der Abendwind (XVI), Winston Choi questionne l'énigmatique colimaçon d'If there were the sound of water only (XVIII), et retrouve les angoisses d'autrefois dans Car l'onde s'est tue (XXI) : elles se sont calmées, peut-être ont-elles été apprivoisées, ou plus justement intégrées comme des fatalités inévitables. Pour la grande finesse de l'écriture d’Un giugno mesto (XXII), on imaginera une interprétation plus délicate, dans la couleur comme dans la respiration. En revanche, la relative sécheresse du jeu de Choi souligne jusqu'au vertige la menace omniprésente des figures obstinées de C'étaient de très grands vents (XXIII). Malgré ces quelques inégalités, on attend la seconde livraison avec impatience.

HK